Archives

logo site d'actualités de la Fondation Scelles

Rosen Hicher s'engage pour la pénalisation du client

 

Rosen Hicher a 54 ans. Elle a pratiqué la prostitution pendant 22 ans et arrêté depuis 7 mois. Elle est venue pour discuter, donner son point de vue et faire passer des messages après la publication du rapport parlementaire du 13 avril dernier. Ce sont ses mots, tels qu'elle nous les a livrés.

 

Que voudrais-tu dire aux clients de la prostitution aujourd'hui ?

 

Le seul moyen d'avoir un impact sur les clients (pas sur les malades ou les cas difficiles), c'est qu'une prostituée leur dise vraiment ce qu'elle pense d'eux, leur fasse prendre conscience qu'ils n'achètent pas du matériel, mais qu'ils achètent une femme, qu'ils ont l'air ridicule. C'est le seul moyen. 
Cela m'est arrivé de dire au client : « Tu as vu ta tronche ? ». Il fait un tour sur lui-même et il a oublié. Il est dans son monde. Il faut les mettre face à la réalité, face à eux-mêmes, leur dire : « tu as l'air ridicule, tu viens pour cinq minutes, tu laisses cent euros, t'es un con ! ». C'est le seul moyen. 
Je ne vois pour lutter contre la prostitution qu'une action d'explication aux hommes. Il faut faire comprendre à l'homme que ce n'est pas comme cela que l'on fonctionne. (...) On n'est pas normal quand on est dedans.

 

 

Pourquoi les sanctionner ?

 

On n'est pas idolâtrées, les hommes n'en ont rien faire, ils arrivent, ils repartent, t'es morte ou t'es vivante ; après, ils s'en tapent. Est-ce qu'on a existé d'ailleurs ? Ils sont venus, ils sont repartis.

 

Punir le client, cela peut le responsabiliser, lui faire prendre conscience... Acheter une prestation sexuelle... A chaque client que l'on reçoit, il y a quelque chose en nous qui s'en va. C'est vrai qu'il achète quelque chose, mais quelque chose qui nous détruit. Quand on est dedans, on ne s'en rend pas compte. C'est après que l'on se rend compte. Cela va les responsabiliser, leur faire comprendre que ce n'est pas bien. Cela ne touchera pas les malades, les pervers, mais cela limitera. La pénalisation va permettre à tout le monde, à la prostituée et au client, de prendre conscience. La prostitution sera encore autorisée mais le client sera pénalisé, la moitié du chemin sera fait.

 

Il faut aussi des témoignages sur le client. Qui est le client ? Pour moi, quand un homme venait, ce n'était pas un homme, c'était un animal. Ce n'était pas un être, il n'avait ni prénom, ni visage ; il n'était rien. Et ils ne veulent pas « être rien ». C'est une chose qui les touche. Quand on leur dit : « Tu n'es rien », ils n'aiment pas. Ils viennent voir les prostituées pour exister. Ils viennent, ils se font faire ce qu'ils ont à faire, ils sont contents, ils existent et puis ils ressortent et plus personne ne les connaît. « Je t'ai achetée, tu m'appartiens, je fais ce que je veux de toi ». C'est pas parce que tu m'as achetée, là, un temps, une prestation, que je suis devenue ton jouet. Tu n'es pas content, tu te casses...

 

Déjà, rien que le fait d'en parler, cela a dû faire fuir la moitié des clients. De toute façon, moi je dis aux clients que la loi est passée ! Les trois quarts des clients sont idiots et, avec tout ce qui a été dit dans les médias, ils ne vont pas chercher à savoir si ça a été voté, si ça va être voté... Pour eux, on en a parlé dans les médias, ça a été mis en application. Ils ne vont pas chercher plus loin. Et je suis certaine que les filles, aujourd'hui, ont déjà perdu la moitié de leurs clients.

 

Pour eux, il y a eu cette proposition de loi, et maintenant ils sont vus. C'est dans leur tête. Le moindre article, sur un salon de massage par exemple, et paf, c'est la moitié de la clientèle en moins. Ils reviennent après. Ou ils rasent plus les murs, ils se comportent différemment. Il suffit de dire que sur internet, il y a la chasse aux clients et ils vont tous se désinscrire ! A part ceux qui n'auront pas eu l'info. Mais là, pour eux, c'est signé, c'est mis en application et tous les flics vont les surveiller.

 

Dans mes clients, j'ai eu des avocats, des procureurs, des juges, des psychiatres, des étudiants en 1ère année de droit, des gamins de 18 ans qui n'osent pas aller vers les filles ou qui disent qu'ils n'ont pas le temps. On a l'impression qu'on n'est pas pareilles (que les autres femmes) ; des fois je leur disais : « Mais je suis conçue comme ta femme ». Ils n'aiment pas.

 

Punir le client, c'est aussi protéger la fille.

 

 

Qu'est-ce que tu dirais aujourd'hui aux jeunes femmes qui pourraient être attirées par la prostitution ?

 

Ces filles ne se rendent pas compte. Elles peuvent tomber sur un malade. Souvent, cela se passe à l'hôtel, elles n'ont aucune sécurité. L'homme va leur paraître tout ce qu'il y a de plus normal. Il va être gentil une fois, deux fois, dix fois, et avoir une réaction... En plus elles y vont décontractées, elles sont sures d'elles. Cet homme-là, elle ne sait pas s'il a un couteau, s'il ne va pas l'attacher, s'il ne va pas la frapper, s'il ne va pas la séquestrer. C'est terrifiant. Elles ne se rendent pas compte du danger ni de la gravité. Elles n'ont qu'une chose dans la tête : l'argent. D'abord, l'argent, elles ne sont pas sures de l'avoir. L'argent, on ne leur donne pas dans la rue. On leur donne en général après. Donc elles arrivent, elles vont se mettre à disposition d'un homme. Elles ne savent pas s'il a le sida, s'il a une hépatite. Elles ne savent rien et, en plus, elles ne sont même pas sures d'avoir le pognon. Elles peuvent avoir un rendez-vous avec un mec, il y en quatre ou cinq qui les attendent.

 

J'ai pratiqué pendant 22 ans. J'ai été braquée, violée, agressée... Et, depuis quelques années, c'est les menaces : je t'attache... et puis tu me détaches ou tu me détaches pas ?? Toutes ces gamines ne connaissent pas suffisamment le client, l'homme pour aller.... J'avais des clients qui me disaient : « viens, on enterre la vie de garçon d'un mec, tu seras sa copine pour la soirée ». Je vais aller dans un milieu où il y aura que des mecs, je vais servir à quoi. Il y a mon image aussi. Ces gamines ne savent rien de ces hommes, elles ne les connaissent pas. Ils vont leur inventer une vie...

 

Je ne sais pas si elles arriveront à comprendre face à un billet de banque que la parole de quelqu'un a plus de valeur...  « Allez, une fois ». Mais une fois, c'est trop tard ! Une fois, c'est des milliers de fois pendant des dizaines d'années. Quand on est dans la prostitution, on est obligé de la trouver normale pour continuer.

 

 

Et aux personnes prostituées qui se sentent « visées » par ce projet de loi ?

 

Il faut savoir que quand on est prostituée, on est là pour gagner de l'argent. Moi je rageais quand il y avait un article sur un salon de massage, cela me cassait de moitié mon chiffre d'affaires. on nous empêche de travailler. C'est ce que je pensais quand j'étais dedans. Et aujourd'hui que j'en suis sorti, je fais comme tous les autres : je compte mon argent à la fin du mois ; si j'ai que dix euros à la fin du mois, je fais avec. Donc la prostituée, elle se sent visée (par ce type de mesure), quelle que soit la forme de prostitution.

 

Mais d'ici quelques années, quand ce texte lui aura permis de sortir de la prostitution, quand elle aura retrouvé une vie normale (ce qui n'est pas simple ; je le vis actuellement et ce n'est pas simple), elle dira : « Merci». Mais pour le moment, elle ne le sait pas. Pour elle, dans son imaginaire, on veut lui enlever son gagne-pain. J'ai été dedans ; la seule préoccupation que j'avais, c'était ce que j'avais gagné le soir et d'y retourner le lendemain. Mais, si demain, cette loi passe et qu'elles n'ont plus rien, elles n'ont pas compris qu'elles allaient s'habituer à vivre autrement. C'est un peu comme quand on arrête l'alcool. C'est au bout d'un certain temps qu'on se rend compte qu'on peut vivre sans et qu'on vit mieux.

 

Moi, personnellement, je n'ai éprouvé que du dégoût. Maintenant, il y a quelques femmes qui... Mais il n'y en a pas beaucoup. Je n'en ai pas rencontré. Dans les salons de massage, les bars à hôtesse, je n'en ai jamais rencontré une qui m'ait dit : « C'est super ». Aujourd'hui, je sais que je n'étais pas libre, on n'a pas le choix. Ce serait parfait si, tous les jours, tu ne pouvais avoir que des hommes que tu désires, ce serait génial... Tu y crois toi ? Ce n'est pas possible.

 

Cela n'a rien à voir. Ce n'est pas pareil. On vend toujours quelque chose, mais vendre ses parties les plus intimes, c'est compliqué. En plus, quand on est dans le milieu, on a du mal à se sauver. Il n'y a pas de Prudhommes pour te sortir de là, ni d'Inspection du Travail. On est seul. La fille qui est sur le trottoir et qui est maquée, ce n'est pas la caissière qui travaille chez Leclerc. Ce n'est pas la même vie, ce n'est pas la même souffrance. Il y en a une qui pourra partir, quitter son travail si elle en a envie, même si cela lui paraît compliqué aussi ; la prostituée, par contre, une fois qu'elle est dedans, il va falloir lui expliquer.

 

Propos recueillis par FB le 6 mai 2011

Les sites de la Fondation

lien vers le site fondationscelles.org

lien vers le site du CRIDES