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L'impact d'Internet sur la prostitution en France

Myriam Quemener est magistrat, en charge du Service criminel du Parquet général de Versailles. Elle est l'auteur de « Cybercriminalité, un défi transnational » avec Joël Ferry et de « Cybercriminalité, droit pénal appliqué» avec Yves Charpenel aux éditions Economica.

 

La mission d'information sur la prostitution en France présidée par la députée Danielle Bousquet a rendu le 13 avril dernier un rapport particulièrement attendu par le monde associatif. Si le rôle d'Internet dans le développement de la prostitution y est souligné de façon détaillée, les préconisations de lutte contre ce phénomène sont en-deçà des réalités.

Internet présente des avantages importants pour une activité aussi clandestine que la prostitution. La faiblesse des coûts d'accès et de fonctionnement assure une rentabilité maximale à ces activités. La discrétion et l'anonymat garantis aux clients facilitent leur passage à l'acte, mais également celui de certaines personnes prostituées, qui n'auraient jamais envisagé exercer sur la voie publique. Enfin, la possibilité de brouiller les pistes derrière des petites annonces anodines ou des sites de rencontre (par l'utilisation de pseudonymes, de téléphones portables, de sms...) favorise les entreprises criminelles.

Les technologies de l'information et de la communication ont simplifié la mise en relation avec les clients et multiplié les possibilités de contact. Par ailleurs, comme pour les autres activités économiques, l'essor d'Internet a engendré une baisse des coûts. Ceci profite en premier lieu aux réseaux de traite et d'exploitation sexuelle, qui, sans engager de frais importants, peuvent créer un site Internet hébergé dans des «cyberparadis», c'est-à-dire des pays qui n'ont pas de textes répressifs en la matière ou une législation embryonnaire, et l'alimenter en annonces et photographies diverses.

 

E-prostitution : l'adaptation de la prostitution aux nouvelles technologies

Les prostituées indépendantes tirent également profit du phénomène, notamment en faisant de la publicité sur Internet. Pour quelques centaines d'euros par trimestre, elles peuvent figurer sur la première page d'un site. Par ailleurs, sur certains sites spécifiques, les clients peuvent voter, poster des commentaires et évaluer les « prestations » des personnes prostituées, ce qui leur donne une visibilité que la voie publique n'offre pas. Si cela ne saurait constituer un quelconque progrès en termes de dignité humaine, cette possibilité est un «avantage» dans un secteur aussi concurrentiel. Certains escort boys ou escort girls sont décrits comme de véritables «entrepreneurs», «prestataires de services» qui ont «une vision commerciale, mercantile des choses». Dès lors, la possibilité d'être évalué présente un intérêt substantiel. Certains d'entre eux tiennent même des blogs et des sites personnels avec leurs tarifs et profil, qui leur assurent une publicité plus grande encore et leur permettent d'opérer un tri des clients.

Le sentiment de s'adresser à une professionnelle indépendante, tout à fait consentante, en même temps que la facilité de la démarche, notamment dans la fixation du rendez-vous, a pu encourager le passage à l'acte de certains clients, qui répugnaient à recourir à la prostitution de rue. En Espagne, il a ainsi été rapporté à la mission d'information que certains clients prenaient rendez-vous par Internet et allaient ensuite directement, avec leur voiture, dans un box de parking donnant accès à un immeuble où se déroulait la passe.

La possibilité de cloisonner et de compartimenter les différents pans de son existence offerte par Internet est également à l'origine d'une nouvelle forme de prostitution, dite occasionnelle. Cette «double vie» menée par certaines femmes qui cachent leur activité à leurs proches est particulièrement notable dans deux cas spécifiques. Celui de la prostitution étudiante, qui n'est pas nouvelle mais qui est ici facilitée, et celui de mères de famille en situation précaire, qui peuvent racoler depuis leur domicile, en toute discrétion.

 

Le cas de l'escorting

Pour certains observateurs, Internet a donné naissance à une forme de prostitution dont les motivations, le contexte et la démarche seraient distincts de la prostitution de rue : l'escorting. Toutefois, la réalité ne résiste pas longtemps à cette analyse. En effet, il apparaît que la prostitution par Internet est aussi diverse que la prostitution elle-même

à l'origine, l'escorting était le fait de fournir un accompagnement de qualité dans le cadre d'événements mondains. Si la relation sexuelle «n'est pas spécifiquement prévue par le contrat, elle est cependant une intention implicite, considérée comme un acte privé entre l'escorte et son client ». C'est la raison pour laquelle l'escorting a été très tôt associé à la prostitution de luxe. Aujourd'hui, il permet l'accès à un public particulier, celui des étudiants qui se livrent essentiellement à la prostitution par Internet.

Les victimes entrent en contact avec des réseaux depuis leur domicile, à leur insu, en répondant à des petites annonces ou par le biais de réseaux sociaux où elles ne se sentent pas en danger. Les réseaux d'escortes constitueraient une forme de traite dans la mesure où les victimes sont trompées sur la nature des prestations qu'elles auront à fournir et qu'elles évoluent dans un contexte de violence identique aux réseaux n'ayant pas recours à Internet.

Une fois les jeunes femmes référencées, ainsi que leurs mensurations et leurs prestations sur certains sites Internet, les clients passent commande en Roumanie ou en Bulgarie via leur téléphone portable. Tel était le cas d'un réseau slovène récemment démantelé. Un site hébergé à l'étranger proposait un catalogue de photographies de jeunes femmes, que les clients choisissaient avant de se voir confirmer la date, l'heure, l'adresse et le numéro de chambre du rendez-vous, par SMS.

 

Proxénétisme et racolage en ligne: des poursuites pénales parfois complexes

La domiciliation des sites à l'étranger rend souvent difficile le démantèlement des réseaux, notamment en raison des différences des législations applicables selon les pays. Pour échapper au mandat d'arrêt européen, les sites sont hébergés aux frontières de l'Europe (Ukraine, Biélorussie, Moldavie...) ou dans des pays à la législation moins répressive comme les États-Unis. Là, en vertu du premier amendement, ces sites peuvent exister en toute légalité, la répression ne s'exerçant que si les personnes prostituées sont mineures.

Les enquêtes policières requièrent donc une importante coopération internationale, qui n'est pas toujours acquise. La possibilité de fermer très rapidement un site dont l'hébergeur aurait été inquiété par les services de police, pour en ouvrir aussitôt un autre, est très souvent exploitée par les proxénètes. Ce caractère éphémère des sites, qui constitue une vraie difficulté pour les enquêteurs, est un réel frein à la répression.

L'éditeur d'un site internet, support d'une activité de prostitution, peut être poursuivi pour proxénétisme. Par ailleurs, plusieurs personnes ont déjà été mises en cause pour racolage sur Internet. Cependant, l'activité prostitutionnelle se réfugie le plus souvent derrière des petites annonces anodines, sur des sites de rencontre ou d'emploi. En outre, la preuve de la relation sexuelle tarifée est extrêmement difficile à obtenir, sauf à ce que le client reconnaisse les faits. La répression du proxénétisme sur Internet suppose donc la mise en place d'une veille sur internet et la mobilisation de nombreux fonctionnaires de police.

 

Juguler le phénomène de la prostitution sur Internet : les solutions proposées

Si le rapport de la Mission parlementaire préconise en premier lieu de pénaliser le client qui a recours à des rapports sexuels tarifés, au risque de susciter des réactions parfois hostiles, ses propositions restent timide pour ce qui concerne Internet. Et son étude cible essentiellement les sites alors que des contacts sont de plus en plus fréquents via les réseaux sociaux et les forums de discussion.

Le rapport recommande que le Ministère de la Justice envoie une circulaire aux Procureurs généraux afin qu'ils informent les directeurs de publication que leur responsabilité pénale est susceptible d'être engagée en cas de publication d'annonces à caractère prostitutionnel. Et la proposition n°20 suggère que les Ministères de l'Intérieur et de la Justice informent les hébergeurs de sites Internet de leur responsabilité pénale au regard des annonces à caractère prostitutionnel qu'ils publient, une préconisation d'autant plus floue que les hébergeurs n'ont pas d'obligation de surveillance des contenus mise à leur charge. Il serait sans doute plus pertinent de faire au niveau interministériel une campagne globale d'information de l'ensemble des acteurs de l'Internet.

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