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« Les enfants sont devenus des victimes encore plus vulnérables »

 

Rencontre avec Cathrin Schauer, travailleuse sociale et présidente de l'organisation allemande KARO.

En 2003, son livre, Kinder auf dem Strich. Bericht von der deutschen-tcheschischen Grenze (Les Enfants font le trottoir. Rapport sur la frontière germano-tchèque), avait eu l'effet d'une bombe. Cathrin Schauer, après plusieurs années d'expérience de terrain, révélait en effet que des milliers d'enfants tchèques ou venus d'autres pays d'Europe centrale et orientale étaient prostitués sur la frontière entre les deux pays, pour des clients pédophiles pour la plupart de nationalité allemande. Nous avons voulu connaître son constat aujourd'hui.

 

Comment a évolué le tourisme sexuel sur la frontière germano-tchèque depuis la publication de votre rapport en 2003 ? Le phénomène s'est-il développé ?

Si l'on se réfère aux chiffres concernant la région frontalière, on peut dire qu'il n'y a pas eu d'amélioration de la situation. La seule évolution, c'est que la prostitution de rue n'est plus aussi visible qu'en 2003. C'est dû au fait que des autoroutes, sans possibilité de parking ont été construites et que les autorités tchèques ont pris des mesures à l'encontre des personnes prostituées dans certains quartiers, ce qui a eu pour effet de les repousser dans les faubourgs des villes. Nous n'avons pas de données fiables quant au nombre de bordels et de prostituées en appartement parce qu'en général nous n'y avons pas accès Mais, d'après ce que nous savons, le phénomène est toujours aussi important.

 

Quelle est la part du tourisme pédophile dans la région aujourd'hui ?

La même qu'en 2003. Des enfants de tous les âges sont proposés : du bébé à l'adolescent. Des mineurs plus âgés sont également contraints de se prostituer dans les rues. Mais en général, ceci se passe plutôt en appartements ou dans des petits hôtels. Dans ces cas-là, nous pouvons seulement observer les manoeuvres d'approche des clients et les contacts avec les proxénètes.

 

D'où viennent les clients ? Quelles sont leurs motivations ? 

Les clients viennent généralement d'Allemagne. C'est ce que l'on peut conclure des rapports et de nos propres observations. Selon nous, leurs motivations sont celles de tous ceux qui ont des tendances pédophiles. En plus, il y a un besoin d'exercer une domination sur une victime sans défense.

 

Comment les enfants en viennent-ils à se prostituer ?

Les enfants viennent de milieux affectifs difficiles. Ils se livrent d'eux-mêmes à la prostitution ou sont proposés par leurs parents ou des proches poussés par la pauvreté. Ou ils sont les victimes de proxénètes et de trafiquants du crime organisé et contraints à la prostitution.

 

Lorsque votre rapport a été publié, le gouvernement tchèque a nié la réalité des faits. Quelle est son attitude aujourd'hui ? 

Au niveau politique, le gouvernement tchèque cherche à faire croire qu'il déploie tous ses efforts pour endiguer le phénomène. En réalité, ses actions préventives et exécutives sont portées par une communication très puissante et ont pour effet de dissimuler le problème plutôt que de le résoudre. La peur qu'a le gouvernement de ternir son image est plus forte et empêche de lutter efficacement. Aujourd'hui encore, le problème est en partie nié.

 

L'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne a-t-elle modifié la situation du tourisme sexuel et l'attitude du gouvernement ?

Pour nous, autant que nous puissions le savoir, cela n'a eu strictement aucun effet sur le contrôle de la criminalité pédophile dans la prostitution. Nous pensons même que, du fait de la disparition des contrôles frontaliers, les enfants sont devenus des victimes encore plus vulnérables pour les trafics humains.

 

Et qu'en est-il du côté allemand ? Quelle est l'attitude du gouvernement allemand face à ce phénomène ? 

Pour le gouvernement allemand, lutter contre les activités de pédophiles dans un contexte de prostitution, sur la frontière germano-tchèque ne fait pas partie des priorités politiques. La prévention médicale et psychologique et le travail auprès des criminels actifs ou potentiels sont limités à quelques projets de recherche ou à quelques mesures de réhabilitation après leur condamnation en Allemagne.

 

Que devrait-on faire ?

Le problème devrait être traité au niveau binational, de manière ouverte. Il est important d'avoir une coopération entre les institutions exécutives, législatives et judiciaires des pays concernés et les ONG qui travaillent dans ce domaine. Les associations devraient être mieux reconnues et soutenues matériellement et financièrement. On devrait également mettre à la disposition des victimes une aide médicale et psychologique plus importante. Il est aussi urgent de renforcer la sensibilisation du grand public à ces problèmes.

 

Quelle est l'action de l'association KARO ?

L'objectif de KARO est avant tout d'apporter aide, soins, conseils aux victimes d'abus sexuels, de violences, et de trafics d'enfants et de leur garantir les possibilités d'aide supplémentaires auprès de structures de soins institutionnelles et professionnelles. KARO lutte également contre toute forme d'exploitation sexuelle des enfants, des adolescents et des adultes, et en particulier contre la traite des femmes et des enfants. Nous travaillons également  : 

- à promouvoir les droits de l'homme et les droits de l'enfant ;
- à renforcer les droits des victimes de violences physiques, sexuelles et psychiques ;
- à mettre en place une coopération d'une part avec les organisations gouvernementales ou non gouvernementales et, d'autre part, avec les institutions nationales et internationales pour lutter contre ces problèmes et développer la prise en charge des femmes, des adolescents et des enfants victimes de violences ;

- à mener des actions de plaidoyer et de sensibilisation auprès du grand public sur ces problèmes.


Pour en savoir plus : karo-ev.de

Propos recueillis par CG
Avec l'assistance de Madame Brigitte Dziallas que nous remercions.

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