Vers une industrie mondialisée

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Vers une industrie mondialisée ?

Après le Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle qui portait sur 24 pays, la Fondation Scelles renouvelle son état des lieux de la prostitution dans le monde. Suivant le même modèle, notre nouvelle étude, Exploitation sexuelle. Prostitution et crime organisé, propose un panorama de 54 pays et des quelques grands thèmes qui ont été au cœur de l'actualité récente.

 

Dans sa conclusion, le Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle. La prostitution au cœur du crime organisé (janvier 2012), mettait en avant les dangers d'une mondialisation galopante, le risque encouru par les jeunes face à une prostitution largement médiatisée, et les difficultés des politiques publiques à trouver des réponses adaptées et efficaces.

Un an plus tard, au terme d'une étude élargie à 54 pays (incluant la mise à jour des 24 pays étudiés dans le Rapport mondial), nos conclusions ne sont pas différentes. Bien au contraire, l'élargissement géographique de notre champ d'analyse non seulement confirme les tendances que nous avions pu constater, mais renforce leur caractère de gravité.

 

Une offre sans cesse « diversifiée »...

La prostitution est aujourd'hui un phénomène qui dépasse les frontières. Ce sont des flux, toujours plus importants, de femmes, d'enfants et d'hommes aussi, qui vont d'un pays à un autre, d'un continent à un autre pour être exploités par des trafiquants et des proxénètes. En France, par exemple, les victimes des réseaux criminels démantelés au cours de l'année 2011, étaient originaires de Colombie, Chine, Equateur, Nigéria, Roumanie...

 

Les premières victimes du développement de la prostitution sont les mineur(e)s, ou très jeunes majeur(e)s, qu'ils vivent en Asie du sud-est, en Europe ou en Amérique du Nord. Certes, les contextes sont divers. Ce sont des enfants victimes de trafics et/ou de la misère : vendus par leurs parents qui espèrent ainsi assurer leur avenir, enlevés par des proxénètes, ou contraints de se prostituer pour la survie de leur famille... Mais ce sont aussi des jeunes, issus de classes sociales plus favorisées, que des difficultés familiales, le besoin d'argent ou l'envie de biens matériels plongent dans la prostitution.

Tous viennent satisfaire la demande inépuisable de clients, en grande majorité des hommes, en quête d'une offre sexuelle attrayante et renouvelée à Bangkok, Manille comme à Budapest, Kiev ou Amsterdam... Acheter (ou vendre) un acte sexuel est devenu tellement facile et discret, grâce à l'essor des nouvelles technologies ! Le racolage se fait par SMS ; les réseaux sociaux servent d'espaces de rencontres pour sexe tarifé ; le recrutement et l'acheminement des victimes à travers le monde tout comme les rendez-vous avec les clients passent par le recours systématique aux échanges numériques...

 

La société banalise cette évolution. La prostitution apparaît de plus en plus comme un recours possible, sans conséquences et presque « naturel » pour se procurer un bien ou de l'argent. On affuble clients, proxénètes et jeunes prostitués de surnoms charmants qui masquent la réalité : loverboys, sugarbabies, sugardaddies... On idolâtre le glamour et le luxe des escorts girls : la jeune Zahia, qui a marqué l'actualité par ses relations tarifées avec des joueurs de l'équipe de France de football, est aujourd'hui considérée comme la « Cendrillon des temps modernes » et une icône people !

 

Un marché économique très « porteur »...

Mondialisée, la prostitution tend ainsi à devenir un marché économique toujours plus normalisé, fonctionnant selon la loi de l'offre et de la demande, avec ses espaces publicitaires sur internet ou dans la presse, ses promotions... Un marché au demeurant très « porteur ». Selon des estimations, le chiffre d'affaires de l'industrie du sexe s'élèverait à plus de 1,5 milliard en Grèce (soit environ 0,70 % du PIB du pays), plus de 2 milliards d'euros en Fédération de Russie, jusqu'à 18 milliards d'euros en Espagne... Et ses profits rejaillissent sur la société toute entière : industrie du tourisme et agences de voyage, bars et hôtels, taxis, mais aussi patrons de presse, producteurs de sites internet, médias divers...

 

Peut-on s'étonner alors que des Etats et des municipalités cherchent aussi à obtenir leur part du profit ? En 2011, la ville de Bonn, en Allemagne, a proposé une taxation de la prostitution sur le modèle de Cologne (où la « sex tax » rapporterait chaque année entre 800 000 et 1 million d'euros à la ville). De même, les Pays-Bas, pays réglementariste où les personnes prostituées bénéficiaient jusque-là d'un régime fiscal particulier, envisagent de taxer les revenus de la prostitution, comme ceux de n'importe quelle activité professionnelle.

 

Ainsi, l'économie de la prostitution s'immisce progressivement dans nos sociétés... La prostitution, le monde des affaires, le pouvoir entretiennent d'ailleurs des liens complexes que l'actualité de 2011 n'a cessé de rappeler. Pensons à l'affaire du Carlton de Lille qui, sous le dehors du libertinage, met en cause Dominique Strauss-Kahn et une des premières entreprises françaises de travaux publics. Pensons au procès de Silvio Berlusconi pour recours à la prostitution de mineures en Italie. Pensons au scandale qui touche une importante compagnie d'assurances allemande qui récompensait ses meilleurs employés en leur offrant des orgies sexuelles...

 

Quelles perspectives ?

Face à ce constat global, rien ne permet d'envisager l'avenir avec optimisme. Le renforcement des criminalités, les effets de la crise économique entraînant, à la fois, la paupérisation croissante des populations, la diminution des budgets dévolus à la réinsertion des personnes prostituées et à la lutte contre les trafics humains, laissent présager une aggravation de la situation.

 

Les politiques publiques peinent à contrer ce développement. Certes, la plupart des Etats ont pris conscience (ou commencent à prendre conscience) de la gravité et de l'ampleur des phénomènes d'exploitation sexuelle. Des lois sur la prostitution et les trafics humains sont adoptées. Des politiques de coopérations judiciaires et policières entre les Etats, à même d'endiguer un phénomène transfrontalier, sont mises en place. Des structures de lutte contre la traite ont été créées. Partout, on voit apparaître une meilleure compréhension du problème et une réflexion sur les solutions à y apporter.

 

Pour autant, les manières d'aborder la question sont différentes selon les pays. La prostitution continue de susciter de profondes divergences auprès des politiques comme des opinions publiques. Entre tolérance, légalisation et répression, les Etats, peut-être sous la pression de lobbies impliqués dans l'industrie du sexe, hésitent à choisir la voie à suivre. Et lorsque les lois existent, leur application se heurte souvent aux blocages d'une société, enfermée dans des clichés ou des attitudes de rejet et de banalisation.

 

C'est là qu'il faut agir. Au moment où la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, œuvre à l'abolition de la prostitution et prépare une « conférence de consensus » sur ce thème, nous voulons rappeler que l'urgence est aujourd'hui d'amener un changement dans les mentalités par un travail de pédagogie et d'éducation sur une réalité méconnue.

 

CG

 

Exploitation sexuelle. Prostitution et crime organisé, par la Fondation Scelles, sous la direction de Yves Charpenel, Editions Economica, novembre 2012 - disponible sur amazon.fr et fnac.com

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