L'Ukraine, l'Euro de foot et la prostitution

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L'Ukraine, l'Euro de foot et la prostitution : un trio explosif ?

Les grandes compétitions sont réputées pour leurs records sportifs mais aussi pour leurs 3e mi-temps ! Qu'en a-t-il été cette année en Ukraine ?

 

L'Euro de foot s'achève. Comme à chaque fois, on nous assure déjà que l'événement a été « un vrai flop » pour la prostitution. Et toute la presse reprend avec une belle unanimité les propos d'une personne prostituée : l'Euro a été "une morte saison" ! Pourtant, pendant des semaines, différentes ONG et institutions ukrainiennes se sont alarmées du prochain afflux de supporters sur le pays. Le groupe féministe des Femen, en particulier, a multiplié les actions médiatiques pour alerter l'opinion internationale aux cris de : « L'Ukraine n'est pas un bordel ! » et « Un Euro sans prostitution ! ».... Etait-ce beaucoup de bruit pour rien ?

 

Entre 50 000 et 83 000 personnes prostituées

Les estimations de la prostitution en Ukraine diffèrent. 50 000 personnes prostituées pour l'Institut ukrainien des Etudes en sciences sociales de Kiev, entre 52 00 et 83 000 personnes prostituées en Ukraine (principalement à Kiev où elles seraient plus de 9 000, Odessa, Donetsk, Kharkov...) pour l'ONG Alliance VIH Sida. Dans ce nombre figurent des victimes de trafic humain, car l'Ukraine, connue pour être pays d'origine (environ 110 000 victimes depuis la chute du bloc de l'Est), est aussi pays de transit et de destination de la traite des êtres humains.

 

Si les estimations diffèrent, tous s'accordent pour dire que ces chiffres, qui ne prennent pas en compte une forte prostitution occasionnelle, sont probablement en-dessous de la réalité. Dans un pays où le coût de la vie est presque aussi élevé qu'en Europe occidentale, alors que le salaire moyen tourne autour de 240 euros (et que, dans cette société encore traditionnelle, le travail féminin est souvent sous-qualifié), la prostitution peut apparaître comme le seul moyen de subsistance. Selon une étude de l'Institut ukrainien des Etudes en sciences sociales de 2008, 50% des femmes prostituées interrogées disaient se prostituer pour faire vivre leur famille.

 

Les personnes prostituées proviennent d'ailleurs de tous les milieux socio-culturels : étudiantes, mères de famille, femmes avec des parents à charge.... Elles sont urbaines ou, souvent, viennent des villages environnants ou d'autres régions d'Ukraine : à Odessa, 60% des personnes prostituées viennent d'autres régions. Elles peuvent avoir un haut niveau d'éducation : selon l'étude de 2008, 51 % avaient terminé des études secondaires, voire entamé un cursus universitaire.

 

Des mineur(e)s en danger d'exploitation sexuelle

Selon l'Institut ukrainien des Etudes en sciences sociales, une personne prostituée sur six serait mineure. On ne connaît pas l'âge moyen d'entrée dans la prostitution, mais les études montrent qu'il tend à s'abaisser.

La majorité de ces enfants victimes de prostitution sont des mineurs isolés en situation d'errance qui constituent la population la plus fragile du pays. N'étant pas enregistrés par les pouvoirs publics, il est difficile de connaître leur nombre. On sait seulement par le ministère de la Famille, la Jeunesse et des Sports, que près de 23 000 mineur(e)s en situation d'errance ont été secourus en 2009 (ils étaient 31 000 en 2008).

 

Abandonnés, en fugue, échappés d'orphelinats, ou issus de milieux défavorisés, ces enfants sont les plus vulnérables au risque d'exploitation sexuelle : prostitution, trafic humain, mais aussi pornographie (selon ECPAT, 18% de la production pornographique mettant en scène des enfants proviendraient d'Ukraine). Ce que souligne une enquête menée par l'Unicef en 2010 sur une population de 1 000 mineur(e)s de 14 à 18 ans en situation d'errance : 11% des enfants interrogés ont dit avoir montré leur corps nu / 10,4% ont laissé toucher leur corps nu / 7,8% ont eu une relation sexuelle contre un paiement / 3,2% ont été photographiés ou filmés nus.

 

La menace omniprésente du sida

Selon l'enquête de l'Institut ukrainien des Etudes en sciences sociales de 2008, 31% des personnes prostituées n'utilisent pas des préservatifs régulièrement et 22% d'entre elles sont usagères de drogue.
Dans le pays le plus touché d'Europe par le sida, avec une prévalence du VIH de 1,1% (adultes + enfants) et 60 nouveaux cas de séropositivité par jour, les personnes prostituées figurent parmi les groupes les plus affectés : 24% d'entre elles sont séropositives à Kiev, et près de 38% à Donetsk (Alliance VIH Sida) et leur taux de prévalence tournerait autour de 9%.

 

Entre corruption et stigmatisation, quelle volonté politique ?

Le gouvernement ukrainien considère la situation comme « une disgrâce nationale ». Mais l'engagement des pouvoirs publics sur ces questions reste limité. Une des premières mesures du gouvernement Ianoukovitch a d'ailleurs été de démanteler le ministère de la Famille, de la Jeunesse et des Sports en charge de la lutte contre la traite humaine, de la protection des droits de l'enfant et de la défense de l'égalité femmes-hommes, laissant ces affaires sans direction pendant plusieurs mois.

 

Quelques jours avant le début de la compétition, le porte-parole du ministère de l'Intérieur a appelé la police à « activer la contre-attaque contre le commerce de la prostitution et à inspecter les « nids de vice » pendant l'Euro ».

 

De fait, quoique n'étant plus criminalisée depuis 2006, la prostitution demeure illégale : les personnes prostituées comme leurs clients encourent seulement une amende. Le proxénétisme, par contre, reste une infraction criminelle passible de 7 années de prison. Ces peines sont aggravées lorsque la victime est mineur(e).

 

Pour autant, les bordels et la prostitution de rue sont nombreux (et visibles) en Ukraine, dans les grandes villes comme dans les villages. La loi est peu appliquée et les trafiquants sont protégés par la corruption qui s'exerce à tous les niveaux : juges, employés des douanes, policiers...., un moyen à la fois de faciliter le fonctionnement des trafics et d'empêcher la poursuite des trafiquants.

 

De ce fait, les personnes prostituées pour leur part ne trouvent aucune protection dans la loi. Déjà stigmatisées par la société (selon une enquête du Ministère de la Santé, 40% de la population considèrent la prostitution comme une "infamie"), elles sont au contraire victimes des brimades policières. Pour s'assurer leur protection, elles doivent payer les membres de la police, ce qui ne leur évite pas de subir des brutalités : relations sexuelles, violences physiques, violences morales, chantage et fausses accusations. Quelques semaines avant le début de l'Euro, des personnes prostituées, le visage dissimulé par peur des représailles, sont venues dénoncer cet état de fait dans une conférence de presse. Selon l'ONG Alliance VIH Sida Ukraine qui organisait l'événement, 38% des violences subies par les personnes prostituées proviennent de la police.

 

Quant au client, il n'est jamais mis en cause. Au contraire : la réputation des femmes ukrainiennes, la liberté de circulation accordée en 2005 aux ressortissants de la Communauté européenne et le bas prix des vols low-cost attirent des clients potentiels de partout.

 

Peu importe alors qu'il y ait eu ou non augmentation de la prostitution pendant l'Euro : l'Ukraine, surnommée la "Thaïlande européenne, est déjà une des premières destinations du tourisme sexuel. Au vu et au su de l'Europe tout entière...

CG

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