Dossier du mois - Sortir de la prostitution : de la volonté et du souffle

Echapper à la prostitution relève d'un cheminement difficile toujours initialisé par la décision radicale et autonome de quitter cette situation. S'ensuit un parcours jalonné de risques où l'environnement de proches et de travailleurs sociaux exerce un appui permanent jusqu'à l'enracinement dans une vie sans prostitution, valorisante et pérenne.

 

« Quitter la prostitution, retrouver une vie normale.... Depuis le départ, je voulais arrêter. » Tels sont les termes de Yolande, ancienne prostituée aujourd'hui travailleuse sociale. Cette posture n'est pas anecdotique. L'aspiration de la plupart des personnes prostituées est de sortir de ce monde parallèle où cohabitent manipulation, violence et fausseté des relations humaines, avec en toile de fond permanente une image de soi profondément altérée de la personne prostituée.

Tous les témoignages concordent : se réinsérer signifie d'abord quitter la prostitution et se réapproprier les règles habituelles de la société. La réinsertion suppose alors un changement radical de vie avec une rupture franche.

 

Une décision radicale

Dans ce processus, on trouve quasiment toujours un déclic, un événement extérieur qui provoque un tournant dans la vie de la personne prostituée : rencontre affective, naissance ou décès dans la famille, même à distance, maladie. C'est une sorte de choc inopiné entrainant une rapide et profonde prise de conscience.

Le premier pas pour se soustraire à la prostitution se fait seul, malgré la présence éventuelle et l'aide de tierces personnes qui encouragent et ouvrent les perspectives d'une vie sans la prostitution. La décision est autonome et personnelle. Elle exprime l'instinct de survie.

S'ensuit un parcours fait d'embuches et de victoires, avec le soutien incontournable qu'organisent associations et professionnels sociaux.

« C'est un combat » nous dit Rozen, ancienne prostituée, qui dure longtemps et qui n'est pas exempt de rechutes.

Témoins et acteurs sociaux permettent de dégager les leviers ou les appuis nécessaires à la réinsertion. Ils évoquent aussi les obstacles que l'assistance de tiers permet de franchir. La réinsertion est en effet une période de déséquilibre et d'insécurité avec la reconstruction de repères structurants.

 

Les appuis

Une étude, joliment baptisée « Printemps » et commanditée par le Mouvement du Nid, recense les conditions favorables à la sortie de la prostitution.

Le renouveau, pour une personne prostituée passera par une rupture nette, surtout s'il y a un proxénète. Il faudra quitter les lieux-mêmes de l'exercice de la prostitution, changer d'environnement et revoir le rapport à l'argent. A l'évidence, le rôle des structures d'aide sociale est prépondérant, avec l'activation de réseaux de proximité et de relais. 

A ce titre, l'accompagnement individuel personnalisé par un travailleur social ou le représentant d'une association est primordial. La reprise d'une activité professionnelle s'avère une étape majeure pour se réapproprier les notions communes de gestion financières et de gestion diurne du temps.

Si l'on peut croire qu'un travail psychologique s'impose d'emblée, les témoignages montrent que ce sont les personnes une fois réinstallées dans la vie active qui expriment ce besoin d'aide psychologique. La tension entre le quotidien et la mémoire de la vie dans la prostitution atteint un seuil de tolérance. Ces personnes veulent assumer leur passé, enraciner leurs nouveaux repères et rénover l'image de soi.

Reste que des rechutes peuvent survenir. Les spécialistes y voient davantage une maturation de la décision initiale, plutôt qu'un retour alarmant chargé de conséquences. Trébucher ne veut pas dire perdre son cap.


Les embuches

Les freins à la réinsertion apparaissent à la manière de contrepoids des leviers positifs de sortie de la prostitution, comme le côté sombre d'éléments porteurs.

Françoise Verliac, ethnologue, auteur du mémoire « Sortir de la prostitution » (Paris IV).... dresse avec précision le panel des embûches qui jalonnent ce parcours difficile.

On retiendra en tout premier lieu, l'isolement social marginalisant, et plus encore le maintien dans l'environnement prostitutionnel : le lieu de vie. Il est en effet le théâtre marqué par l'atmosphère délétère qu'il engendre : renoncements, absence de projets, marasme. Rester dans cet environnement empêche la rupture.

Les corollaires en sont la peur, toujours présente dans la prostitution. Peur des dénonciations de la part de coreligionnaires de « confiance », peur du proxénète et de ses menaces, peur aussi des clients dans ce rapport pervers et changeant de victime et de bourreau, enfin peur du regard des autres, quels qu'ils soient.

Le monde de la prostitution n'est pas tendre. Il attire vers le bas. Les rapports humains qualitatifs et respectueux y sont exceptions. On parle d'ailleurs d'enfermement psychique et physique.

Autre écueil, la gestion du temps qui suppose là aussi une rupture à l'égard d'un univers au rythme décalé.

Le rapport à l'argent, argent facilement acquis, constitue encore un frein certain. Et ce n'est pas tant l'argent en soi, mais plutôt la manière de l'acquérir qui retient à la prostitution. L'étude Printemps a montré que l'attrait financier était un levier de sortie de la prostitution, si tant est qu'il est secondé par de saines notions de gestion dument rythmée par les « rentrées » mensuelles d'argent. D'où le rapprochement et la réintégration nécessaire au monde du travail.

 

Le rôle considérable des liens

Quant aux écueils, travailleurs sociaux et associations prennent tout leur poids et toute leur valeur, avec dans l'accompagnement, le rôle sensible d'éclairer les situations et d'orienter les choix. Il est en somme de réitérer la décision prise initialement et d'aider aux choix ponctuels en cohérence avec le projet.

Sortir de la prostitution n'est pas insurmontable. Si la décision est toute personnelle, l'entourage actif est primordial qui doit soutenir l'effort, accompagner les rechutes et rafraîchir régulièrement le choix de s'en sortir. On l'a compris, les politiques publiques s'avèrent fondamentales dans les possibilités qu'elles offrent aux postulant(e)s : aide au logement, allocations, recherche d'emploi. Les travailleurs sociaux seraient démunis dans leur soutien sans l'efficacité de ces dispositifs.

 

François Vignaud