« Dans quelle société voulons-nous vivre ? »

l'argent criminel de la traitePar Chantal CUTAJAR, Maître de conférences, Directeur du Grasco, Université de Strasbourg : L’Economie en danger. Les circuits de l’argent sale, l’argent criminel de la traite, Palais du Luxembourg, 24 mai 2013)


« L’infiltration de l’économie légale par des flux d’argent criminel au moyen du blanchiment met l’économie planétaire en danger. En termes de PIB, les organisations criminelles ont la capacité d’influencer en profondeur la vie politique, économique et sociale. Elles sont devenues de véritables puissances globales. Pietro Grasco, procureur de la direction italienne anti-mafia a déclaré lors de son audition devant la commission parlementaire spéciale sur la criminalité organisée de l’UE dont la mission est justement d’enquêter sur l’infiltration de l’économie légale de l’UE par la criminalité organisée et de proposer les moyens de la combattre, que : « La crise rend les groupes criminels encore plus puissants car ils ont de l’argent liquide, de l’argent frais et disponible et pas seulement en Europe mais dans d’autres pays où les économies sont fragiles et où ils influencent les politiques ».

 

Les enjeux du combat à mener contre l’économie criminelle et les moyens de le mener sont clairs : DANS QUELLE SOCIÉTÉ VOULONS-NOUS VIVRE ? Montesquieu en 1748 dans « De l’esprit des lois » écrivait : « Lorsque dans la république, le peuple en corps a la souveraine puissance, c’est une démocratie ». Or, lorsque s’interposent entre le peuple et leurs représentants des organisations criminelles qui gèrent des flux financiers d’ampleur macro économique qui leur permettent d’acheter la décision publique, au moyen de la corruption, sans considération aucune pour le bien public, c’est bien la démocratie qui est menacée. Le développement des marchés criminels est tel que semble s’imposer l’idée que tout a un prix. Que tout peut se vendre et que tout peut s’acheter. Mais ce n’est pas vrai. Il existe des valeurs non marchandes universelles. Les conventions internationales adoptées sous l’égide des Nations Unies posent clairement les limites de la sphère marchande en interdisant parmi d’autres, le commerce des êtres humains, de ses organes, et de tout ce qui porte atteinte à sa santé, sa vie, son intégrité. Il est un impératif catégorique qui s’impose à la raison et qui commande alors de trouver les moyens de faire respecter ces interdits qui constituent le fond commun de l’humanité.

 

Comment ? En empêchant l’argent criminel d’infiltrer les circuits financiers et en confisquant les produits du crime. Cela suppose d’éradiquer les outils juridiques qui permettent d’opacifier les flux financiers en imposant la transparence des personnes morales et autres constructions juridiques au moyen de la création de registres des bénéficiaires réels. Il faudra pour cela refonder le droit des sociétés autour du principe de transparence de manière à permettre de toujours pouvoir identifier les bénéficiaires réels des structures juridiques, C’est le seul moyen de donner une effectivité aux conventions internationales qui prohibent certains trafics et de faire échec au blanchiment qu’utilisent les organisations criminelles pour prospérer. Tel est l’objectif que s’est fixé l’Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale en projetant de lancer une initiative citoyenne européenne pour demander à la Commission de prendre un règlement sur la transparence des sociétés et des constructions juridiques. Il s’agit ensuite de confisquer les avoirs criminels. Il faut pour cela développer les investigations financières à l’échelle européenne. Tel est l’objet du CEIFAC, le collège européen des investigations financières qui ouvrira ses portes à Strasbourg en octobre 2013 et qui formera à ces techniques particulières d’enquêtes les autorités de poursuite et de justice de toute l’UE. »

 

Chantal Cutajar
Maître de conférences, Directeur du Grasco, Université de Strasbourg