Le Rapport Olivier, dans le sillon du rapport Bousquet-Geoffroy

l'économie en danger, l'argent criminel de la traite

A l’origine de la proposition de loi sur le système prostitutionnel, débattue fin novembre, un rapport de la Délégation aux Droits des Femmes (DDF) de l’Assemblée nationale, rendu public en septembre dernier. Une centaine de pages d’état des lieux et 40 recommandations qui s’inscrivent dans la droite ligne du rapport Bousquet / Geoffroy. Quelques éléments d’analyse.

 

C’est à la suite de l’adoption d’une proposition de loi « visant à l’abrogation du délit de racolage » par le Sénat que la Délégation aux Droits des Femmes (DDF) de l’Assemblée nationale, présidée par Catherine Coutelle, a constitué un groupe de travail sur le système prostitutionnel conduit par Maud Olivier. L’objectif : actualiser et enrichir le bilan dressé par le rapport parlementaire présenté par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy en avril 2011.

En effet, ledit rapport Olivier s’inscrit clairement dans la réflexion collective de son prédécesseur, dont il reprend plusieurs recommandations et, plus encore, le principe fondateur : la prostitution viole les fondements de notre société c’est-à-dire la non patrimonialité et le respect de l’intégrité du corps humain, l’égalité entre les sexes.

La DDF a privilégié une approche concrète à travers l’audition de personnes sorties de la prostitution et de onze structures dont la Fondation Scelles, en la personne de son Président Yves Charpenel. Il en ressort que le combat contre la prostitution ne saurait se limiter au volet pénal, d’autres mesures devant être prises. Le rapport Olivier définit quatre piliers nécessaires pour agir globalement.

 

Renforcer les moyens de lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains

Malgré la difficulté à chiffrer un phénomène en constante évolution et en partie caché, les auteurs du rapport Olivier estiment qu’il y aurait entre 20 000 et 40 000 personnes prostituées en France, dont 85 % seraient des femmes, et 99 % des clients seraient des hommes. En outre, 90 % des personnes prostituées identifiées par la police seraient étrangères. La plupart d’entre elles seraient par ailleurs sous la coupe de proxénètes : 82% des victimes de traite et de proxénétisme en 2012 étaient en effet étrangère. D’où la nécessité de renforcer la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains.

Plusieurs mesures en ce sens avaient déjà été proposées en 2011. Le rapport Olivier reprend certaines de ces propositions et en formule d’autres : amélioration de l’indemnisation du préjudice subi par les victimes du proxénétisme dans l’accès à la réparation des dommages subis du fait de cette infraction (recommandation 6), amélioration de l’accès au droit des personnes prostituées en rendant de droit le huis clos, sur la demande des victimes de traite et de proxénétisme aggravé (recommandation 4).

Il est essentiel de renforcer la coopération de l’action contre la traite et la prostitution aussi bien au niveau départemental notamment en réunissant une commission départementale de lutte contre les violences faites aux femmes et en instituant une sous-commission de lutte contre la prostitution (recommandation 8), qu’au niveau national et international (recommandation 3). A l’échelle nationale, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) visant à élaborer un plan national de lutte contre la traite et à coordonner les différents services de l’Etat devrait être élargie à la coordination des personnes de la traite et de la prostitution (recommandation 7).

 

Instituer un accompagnement des personnes prostituées

Les victimes de la prostitution et du proxénétisme doivent, si elles le souhaitent, pouvoir sortir de cette situation de violence et entreprendre leur réinsertion afin d’accéder à une meilleure vie. A cette fin, la DDF recommande un certain nombre d’alternatives crédibles pour les personnes prostituées.

En cohérence avec sa position abolitionniste, la France ne reconnaît pas de statut juridique spécifique aux personnes prostituées mais celles-ci peuvent accéder aux dispositifs de droit commun. Force est de constater que les droits fondamentaux des victimes de la prostitution ne sont pas encore, comme ils ne l’étaient pas hier non plus d’après le rapport Bousquet / Geoffroy, pleinement respectés. Plusieurs mesures, dont certaines reprises du rapport précédent, sont proposées afin de garantir ces libertés fondamentales: amélioration de l’accès au droit des personnes prostituées avec une meilleure connaissance de leurs droits (recommandation 9), simplification de la procédure de délivrance d’un titre de séjour (recommandations 14, 15, 17), domiciliation de la victime de la traite et du proxénétisme auprès d’une association ou de leur avocat pour les démarches administratives (recommandation 16), amélioration des dispositifs d’hébergement avec un accès accru au logement (recommandations 27, 28 et 29).

L’abrogation du délit de racolage prévu à l’article 225-10-1 du code pénal est une des premières mesures du rapport Olivier, aucun rapport précédent n’ayant jamais été aussi loin (recommandation 31). Ce délit est en pratique peu utilisé au vu de la difficulté de faire confirmer par le juge la matérialité de l’infraction. En outre, il suppose une procédure policière lourde avec un coût élevé en effectifs de police et en temps passé pour n’apporter qu’une réponse partielle à la situation.

Les alternatives proposées aux personnes prostituées ne seraient pas complètes sans un travail de sensibilisation à destination notamment des agents de Pôle emploi et des services de réinsertion concernant les difficultés des parcours d’insertion des personnes prostituées (recommandation 20).

Un volet financier est prévu. Partant du constat que les associations ont un rôle essentiel dans la lutte contre la traite et la prostitution, des crédits accrus sont à prévoir (recommandation 14). Afin de contribuer au financement des actions d’accompagnement des personnes issues de la prostitution, la DDF propose la création d’un fonds de concours ou une attribution de produits recevant une partie du produit des saisies réalisées sur les avoirs des personnes condamnées pour traite et proxénétisme (recommandation 26). Enfin, pour aider les personnes prostituées, si ces dernières s’engagent à sortir de la prostitution, elles peuvent se voir accorder des remises fiscales gracieuses (recommandation 30).

 

Sanctionner le recours à la prostitution

La mesure phare des trente propositions du rapport Bousquet / Geoffroy proposant de sanctionner le recours à la prostitution a été reprise dans ce rapport. La Fondation Scelles se félicitait alors que le client de la prostitution soit enfin pris en compte, comme nous le réclamons depuis longtemps. La Fondation Scelles ne peut donc que se féliciter de nouveau que la pénalisation du client soit une des recommandations du rapport Olivier, en espérant qu’elle ne restera pas lettre morte.

La pénalisation des clients de la prostitution a une double visée de cohérence et de pédagogie et reste la mesure la plus efficace à ce jour pour dissuader les réseaux de traite et proxénétisme, comme le montre le succès du modèle suédois, premier pays à avoir adopté une loi en ce sens en 1999.

Outre l’adhésion de la France à différentes conventions internationales ouvrant la voie au plan national à admettre la responsabilité et la sanction des clients, la pénalisation du client de la prostitution est, en droit interne, déjà prévue dans les cas de la prostitution des mineurs et de celle des personnes présentant une particulière vulnérabilité. Or, force est de constater que cette législation est difficilement applicable, le client prétendant ne pas avoir eu connaissance de la minorité de la personne prostituée. La solution consiste en la généralisation de l’infraction de recours à la prostitution qui se définirait comme étant « le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de l’utilisation d’un bien immobilier, de l’acquisition ou de l’utilisation d’un bien mobilier ou de la promesse d’un tel avantage ».

Le rapport prévoyait de faire du recours à la prostitution une contravention de 5ème classe, et de sa récidive un délit puni de six mois d’emprisonnement et d’une amende de 7 500 euros. Finalement l’idée d’une peine de prison a été abandonnée dans la proposition de loi, la récidive devant être sanctionnée par une amende doublée. Dans le rapport comme dans la proposition de loi, une peine complémentaire est prévue, consistant en un stage de sensibilisation sur les conditions d’exercice de la prostitution (recommandation 39). La Fondation Scelles ne peut que se réjouir de la solution retenue jugée équilibrée en ce qu’elle pose l’interdit social tout en s’intégrant dans l’échelle des peines prévues par le code pénal pour les atteintes aux personnes.

 

Elaborer une politique préventive pour changer les représentations et les comportements

Ce ne sont pas les clients de la prostitution qui sont stigmatisés mais les personnes prostituées elles-mêmes. La honte doit donc changer de camp. Un geste aussi attentatoire à la dignité humaine serait-il permis du simple fait que la victime y aurait « consenti » ?

L’élaboration d’une politique préventive s’impose pour changer les représentations à travers des mesures de sensibilisation, de formation (recommandation 38), et d’éducation (recommandation 36). Il faut davantage prévenir la promotion de la prostitution, comme le suggérait déjà le rapport Bousquet / Geoffroy.

Poser un interdit dans la loi est insuffisant s’il n’est pas accompagné d’un travail de prévention. A cette fin, un délai de six mois entre la promulgation de la loi et l’entrée en vigueur de celle-ci est à prévoir dans le seul objectif de mener une campagne nationale d’information et de sensibilisation inhérente à la prostitution et au proxénétisme (recommandation 34). De plus, afin de sensibiliser le public le plus large, il convient de prévoir des temps de publicité sur les chaînes et radios publiques après la promulgation de la loi de manière à informer et à déconstruire les idées reçues (recommandation 35). Dans le but d’une prise de conscience de chaque agent de la chaîne prostitutionnelle, des mesures doivent être prises, l’une d’entre elles consistant à informer les hébergeurs de sites Internet de leur responsabilité pénale au regard des annonces à caractère prostitutionnel qu’ils publient (recommandation 33).

Le rapport Olivier a été déposé en septembre, la proposition de loi qu’il a inspiré doit être examinée fin novembre 2013. En 2011, le rapport Bousquet / Geoffroy devait aussi faire date… Or, ces travaux se sont conclus par le dépôt, le 7 décembre 2011, d’une proposition de loi n°4057 qui n’a pas été inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée, et d’une proposition de résolution n°3522 qui fut examinée et adoptée à l’unanimité le 6 décembre 2011. Qu’en sera-t-il du rapport Olivier et de sa proposition de loi ?

FM