Pays-Bas – 2013, année d’un changement législatif ?

Zanpad - UtrechtDès 2007, des études et des évaluations ont montré les limites et les failles de la légalisation. Une révision de la législation en vigueur s’est alors imposée. Six ans plus tard, elle est encore en discussion… ! Quels sont les changements envisagés ? Pourquoi ces délais ?

 

Un nouveau projet de loi est actuellement en discussion au Parlement. Que prévoit-il ?
Une proposition de loi a été présentée au Parlement en 2008. Elle prévoit :
- d'autoriser tous les types de prostitution (escorting, clubs, etc…) et plus seulement les maisons closes, comme c'est actuellement le cas,
- d’enregistrer toutes les personnes prostituées dans une base de données nationale et de criminaliser les femmes non enregistrées,
- de criminaliser les clients des femmes non enregistrées (qui sont probablement des victimes de la traite),
de relever l'âge minimum légal de la prostitution de 18 à 21 ans.
Le but principal de cette loi est de renforcer le contrôle de l'Etat en introduisant un système de licence nationale uniforme. Actuellement, les licences sont attribuées par les municipalités et leurs politiques de délivrance diffèrent d’une municipalité à l’autre. Amsterdam a des critères stricts. Mais, quand un proxénète n’obtient pas la licence pour ouvrir un bordel à Amsterdam, il utilise simplement une adresse postale dans une commune moins stricte, à proximité, pour enregistrer son bordel.
Concrètement, avec la nouvelle proposition de loi, la femme devra consulter les services de santé municipaux pour un «entretien d'embauche» avec un travailleur social. A la suite de quoi, elle sera inscrite dans un registre national de la prostitution et recevra un numéro et une carte d’enregistrement. Cette carte lui donnera l’autorisation d’exercer ; elle devra la présenter à ses clients-acheteurs, à son proxénète et lors des contrôles de police, afin que chacun puisse vérifier qu’elle exerce légalement. L’exercice de la prostitution ou sa publicité sans ce numéro d’identification seront criminalisés. De même pour le client-acheteur qui pourra être poursuivi s’il achète les services d’une femme non-enregistrée. Les clients-acheteurs devront vérifier l’enregistrement de la personne prostituée auprès d’un numéro de téléphone national du gouvernement avant tout achat d’une prestation sexuelle.

 

Où en est cette proposition de loi aujourd’hui ?
La proposition de loi a été adoptée par le parlement le 29 Mars 2011, mais a été bloquée par le Sénat l'année dernière. Le projet de loi sera présenté devant le Sénat pour une seconde lecture le 28 mai prochain. Il semble peu probable que la proposition soit adoptée dans sa forme originale. La question de l’enregistrement des femmes suscite en effet la controverse, beaucoup y voient une atteinte à la vie privée. Un autre motif de préoccupation est le fait que ce texte fait porter une responsabilité aux acheteurs, ce qui est jugé contraire à l'esprit de la loi néerlandaise et difficile à appliquer.
Pour autant, depuis le 1er Octobre 2011, la ville d'Utrecht a commencé à enregistrer les personnes prostituées dans le cadre d’un projet précurseur de la proposition de loi. Les trois quarts des femmes qui demandent leur enregistrement ont besoin de l'assistance d'interprètes. Les femmes qui viennent s’enregistrer reçoivent systématiquement un permis pour se prostituer, même si certaines indications font penser qu'elles sont peut-être victimes de traite. Un rapport intermédiaire indique : «le Service municipal de santé [d’Utrecht] est d'avis que le refus d'un permis [de prostitution] sur la base de soupçons [de trafic] pourrait affecter gravement la femme. Le seul effet d’une telle mesure serait de la faire disparaître de la vue [des autorités] ». En d'autres termes, la municipalité laisse sciemment persister l'exploitation sexuelle de victimes de la traite dans la prostitution.


La ville d'Amsterdam devrait commencer l’enregistrement des personnes prostituées courant 2013. On s’attend à ce que 5 500 femmes environ viennent s’enregistrer.

 

Que pensez-vous de ce projet de loi ? Pourrait-il suffire pour changer vraiment la situation ?
La nouvelle loi amende la législation en vigueur, ce qui garantirait une législation municipale plus homogène. Mais elle est toujours fondée sur la même compréhension de la prostitution et les mêmes objectifs qui se sont révélés inefficaces. Il est difficile, voire impossible, de changer les choses sans discuter de la philosophie du système.
La prostitution et la violence, la prostitution et l'exploitation, la prostitution et la traite ne peuvent pas être «démêlées». S'il y a un résultat commun à toutes les recherches menées aux Pays-Bas ces dix dernières années, c’est celui-là. On ne peut pas créer un secteur «propre» : la prostitution n'est pas propre. Selon la police nationale, 50 à 90% des femmes n’ont pas fait le choix de la prostitution. Pourquoi mener des politiques qui facilitent et sanctionnent cet état de fait ? Pourquoi alors permettre à des milliers de femmes d'être victimes de violence chaque jour ? Pourquoi accorder des permis de prostitution à des femmes en sachant qu’elles sont victimes ? Cela ne fait-il pas de l'Etat le complice d'abus?

 

Propos recueillis par CG