Prostitution = violence faite aux femmes (et aux hommes aussi !)

On entend toujours parler de : « plus vieux métier du monde », « d’argent facile », de « prostitution heureuse »… Persister dans ces clichés, c'est nier la réalité de la prostitution et se raccrocher aux fantasmes complaisants que les médias diffusent. Les débats qui ont mené à l’adoption de la loi d’avril 2016 ont pourtant marqué une prise de conscience : des personnes prostituées se sont publiquement exprimées et la loi a officiellement fait de la prostitution « une exploitation du corps et une violence faite aux femmes » (L. Rossignol, ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes). Mais ce n’est qu’un début.


Alors que l’on vient de célébrer la lutte contre les violences faites aux femmes, au moment où des anti-abolitionnistes s’emparent de faits divers sanglants pour remettre en cause la pénalisation du client et l’objectif de protection de la loi, il faut rappeler, inlassablement, par des faits, par des témoignages, par des données chiffrées, que la prostitution est et demeure une violence.


 

Coexistence par Nora Hegedüs (Prix Fondation Scelles 2014 – Prix du Jury de la Meilleure Photo)

 

Un monde de violences

 

La prostitution est un monde violent, un monde « où il faut constamment être sur ses gardes, où on apprend à vivre avec la peur, donc la peur devient un mode de fonctionnement » disent les personnes prostituées. La violence peut surgir n’importe quand et venir de n’importe qui : proxénètes, trafiquants, clients, personnes en situation de prostitution, passants, riverains, municipalités… Mépris, insultes, violences physiques et sexuelles, séquestration, vols, chantage psychologique, mais aussi stigmatisation des municipalités qui publient des arrêtés anti-prostitution ou indifférence des sociétés qui ignorent le problème.

 

(« Prostitution en France : ampleur du phénomène et impact sur les personnes prostituées », La Lettre de l’ONVF, n°7, octobre 2015).

 

Parmi ces victimes, des femmes en grande majorité, des hommes, des personnes transgenres, et un nombre croissant de jeunes adultes, voire de mineur(e)s. Chaque année, la Brigade de Protection des Mineurs traite entre 20 et 60 cas de prostitution de mineurs. Mais les associations avancent des chiffres bien supérieurs : entre 4 000 et 10 000 mineur(e)s seraient en situation de prostitution en France.

 

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Prostitution : l'exigence de responsabilité - Rapport Assemblée nationale n°3334, 2011

 

Un jouet entre les mains du client

 

La violence de la prostitution ne réside pas seulement dans ses conditions d’exercice. Elle est inhérente à l’acte prostitutionnel lui-même : la répétition d’actes sexuels non désirés. « Avoir à subir un acte sexuel qui n’est pas désiré en échange d’argent, explique le Dr Judith Trinquart, ça revient à ce que l’on appelle en termes médicaux, une ‘effraction corporelle à caractère sexuel’, qui en fait est l’équivalent d’un viol et a les mêmes conséquences que le viol, que ce soit sur les enfants, les adolescents ou les adultes ». Rosen Hicher, qui a vécu 22 ans dans la prostitution, témoigne :

« A chaque client que l’on reçoit, il y a quelque chose en nous qui s’en va. C’est vrai qu’il achète quelque chose, mais quelque chose qui nous détruit. Quand on est dedans, on ne s’en rend pas compte. C’est après que l’on s’en rend compte ».

 

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Rosen Hicher témoigne

 

Prostitution de rue ou escorting de luxe, maison close, bars ou appartement, la relation qui s’établit entre le client et la personne prostituée est toujours la même : domination et instrumentalisation. Le client prend physiquement possession du corps de la personne prostituée. Déshumanisée, elle devient un objet au service d’un tiers qui peut s’autoriser tous les excès et toutes les violences.

 

« Au premier contact, ce sont des hommes adorables. Des fois, on met du temps avant de comprendre qu’ils sont violents (…) Il y a deux ans j’ai été violée. Ce client je le connaissais bien, il était un ange, il est devenu un monstre. Tous ces hommes qu’on rencontre… Ils vont venir pendant un an, deux mois, six mois, puis un jour leur vrai fond intérieur va ressortir...» (Rosen Hicher)

 

En 2014, au moins 7 femmes prostituées ont été tuées en France au cours de l’année 2014, dans 4 de ces affaires, l’agresseur était un client (agresseur non identifié dans les autres cas) (Source : « In Memoriam », Prostitution et Société). La même année, Mr S. a comparu devant le tribunal d’Aix-en-Provence pour viols et séquestration suivis de mort de trois femmes prostituées ainsi que pour l’enlèvement et la séquestration d’une quatrième.

 

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Déni et fragilité

 

On dit : « Si c’est violent, pourquoi continuent-elles cette activité ? ». On oublie que les personnes prostituées sont elles-mêmes enfermées dans cette violence, de différentes manières.
Par le chantage : près de 90% des personnes prostituées sont victime de traite des êtres humains et soumises à la violence psychologique, au juju (rite vaudou), aux menaces sur les familles…


Par le déni d’une réalité insupportable et destructrice :

« Il n’y a rien de plus confortable que le déni (…) comme ça on ne se rend pas bien compte de ce qui se passe, on préfère évacuer la question. Je pense que c’est une façon de, peut-être, moins souffrir (…) » (Nicole Castioni)

 

Par un profond sentiment de dévalorisation et de culpabilité. Le recours à la prostitution s’inscrit souvent dans un parcours difficile : carences affectives, problèmes familiaux, fugue, agressions sexuelles, inceste, dépendance aux drogues…

« Il y a un lien entre l’inceste, la maltraitance et la prostitution car je pensais que j’étais coupable et que je ne valais rien. Je pensais aussi que j’étais une poupée car j’avais été touchée par mon beau-père. Ce qui est bon pour toi, tu ne le vois pas puisque tu es persuadé que de toute façon tu ne vaux rien. Et c’est sans fin puisque cette culpabilité n’est pas réelle » (Laurence Noëlle).

 

« Il y a le déni et il y a aussi le passé, qui est souvent identique, c’est-à-dire les violences, les abus sexuels etc… Quelque part, j’en ai été convaincue pendant cinq ans. En plus de la violence physique et morale que je subissais, les abus sexuels que j’ai pu subir au préalable m’avaient installé dans une non-valorisation de ma personne ; (…) j’étais convaincue que je ne méritais pas mieux que ça…. » (Nicole Castioni).
 

Les lois abolitionnistes sont le meilleur rempart à la prostitution-violence

 

Comme les lois abolitionnistes nordiques avant elle, la législation française du 13 avril 2016 repose sur la dépénalisation de la vente de rapports sexuels, la répression de l’achat, et la mise en place de mesures d’accompagnement pour aider les personnes prostituées à sortir de la prostitution si elles le souhaitent.

 

Les lois abolitionnistes sont la meilleure réponse à la prostitution-violence. Lorsqu'elles sont mises en oeuvre, on constate une baisse de la violence et des viols, une diminution de la prostitution de rue et de la traite, une dissuasion efficace des clients et une évolution des mentalités.

 

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A l'inverse, la dépénalisation de la prostitution crée un climat favorable à la demande qui apparaît banale et inévitable, renforce l'industrie du sexe, en particulier dans ses formes criminelles, accroît la traite des personnes, et aggrave la situation des personnes prostituées. Dans les pays qui ont normalisé la prostitution, comme l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Nouvelle-Zélande, les femmes prostituées ne sont pas moins exposées à la violence, bien au contraire puisque celle-ci est légitimée. Au bilan de la dépénalisation de la prostitution : consommation décomplexée, violences exacerbées, augmentation de l’utilisation de produits sédatifs par les femmes prostituées, accroissement de toutes les formes de prostitution et en particulier des formes illégales, tandis que le crime organisé se développe et renforce son contrôle sur le secteur légal de l'industrie du sexe.

 

La lutte contre les violences faites aux femmes dans le cadre de la prostitution passe impérativement par le projet abolitionniste et humaniste qui met un terme au système prostitutionnel. Seuls un modèle législatif global et une approche fondée sur les droits humains et l’égalité des genres, inspirés du modèle franco-suédois, permettront de combattre la soif de profit de l’industrie du sexe, fondée sur la violence, l’exploitation, les abus de toutes natures, le racisme, la négation de la personne, et la criminalité.

 

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