Recommandations : Vers « un nouveau modèle de coopération »

Comment lutter contre une cybercriminalité qui se renouvelle sans cesse et va toujours plus loin ? Au-delà du simple constat, l’objectif de la journée organisée à l’Assemblée nationale était de rassembler des professionnels de tous horizons et d’apporter des recommandations concrètes, d’ouvrir des pistes de réflexion. 


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Comment travailler ensemble ? C’est la principale question qui a jalonné les débats de l’Assemblée nationale. Pouvoirs publics et industrie numérique peuvent-ils s’unir pour lutter contre la cybercriminalité ? Et comment ?

Les tensions entre le monde de l’industrie numérique et les pouvoirs publics ne sont pas un secret et les différents intervenants n’ont pas hésité à les évoquer. « On critique souvent les fournisseurs d’accès, les hébergeurs en disant qu’ils n’en font pas assez », a rappelé Carole Gay, de l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA). Jean-Christophe Le Toquin, consultant en gouvernance de l’information, a, lui aussi, reconnu : « Le niveau de l’implication de l’industrie numérique n’est certainement pas à la hauteur des enjeux, en particulier en France ». Pour lui, « le secteur privé est mal vu, car on part du postulat qu’il est mal intentionné ».

 

« Il faut être dans le dialogue, pas dans la répression… »

Pourquoi ? Les participants évoquent des approches différentes. « Il faut être dans le dialogue, pas dans la répression » a affirmé Jean-Christophe Le Toquin, faisant ainsi référence à une actualité récente. En novembre dernier, le CNN (Conseil National du Numérique) s’est en effet opposé à un article de la proposition de loi pour le renforcement de la lutte contre l’exploitation sexuelle qui prévoyait l’obligation pour les fournisseurs d’accès internet de bloquer l’accès aux sites internet hébergés à l’étranger en infraction à la loi française contre le proxénétisme (comme la loi le prévoit déjà pour les sites pédopornographiques).

La question du blocage des sites, a d’ailleurs été évoquée à plusieurs reprises au cours des débats. Valérie Maldonado, chef de l’OCLCTIC (Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication), a expliqué : « La finalité (du blocage des sites tel que proposé en matière de sites pédopornographiques) n’est pas d’éradiquer la problématique de la pédopornographie, car celui qui veut vraiment accéder à ce type de contenus à tous les moyens de contournement possibles pour le faire mais l’idée est plutôt de dire que l’on veut protéger les internautes d’arriver sur des sites pédopornographiques ou de proxénétisme ». Elle a également présenté l’aspect technique de la question : comment bloquer un site, les différents niveaux de blocage, l’efficacité de ces mesures…

Le blocage des sites est-il possible ? Pour Nathalie Chiche, du Conseil Economique, Social et Environnemental « on ne peut pas demander aux FAI et à l’AFA de se substituer à la justice sans mettre en danger la neutralité du net ». Le CNN a justifié sa décision par deux raisons : 1) Cet article « porte atteinte aux droits fondamentaux en termes de libertés d’expression et de communication (…) sur le plan des libertés fondamentales » / 2) « tout en complexifiant le travail des enquêteurs, leurs dispositifs de blocage sont facilement contournables par les usagers ».

 

Un travail collaboratif et une approche globale

Deux approches différentes, donc, et peu conciliables. Il faut « sortir de la problématique pure de l’exploitation sexuelle (…), conseille Jean-Christophe Le Toquin, et être dans une problématique plus large de cybercriminalité ». De fait l’état des lieux dressé par la magistrate Myriam Quemener, au début de la journée avait clairement montré les liens entre les différents aspects de cybercriminalité (escroquerie, fraude…). « Face à cela, l’industrie ou les autorités sont très segmentées. Elles n’arrivent pas à voir le phénomène dans toute son ampleur. Et quand on a des réponses segmentées sur des phénomènes complexes, les réponses sont forcément partielles, parcellaires et insuffisantes. ».

Outre une approche globale du problème, les intervenants ont aussi appelé à un travail collaboratif. Valérie Maldonado, la première, a souligné l’importance du partenariat dans sa mission. Elle a évoqué, en particulier, le « relationnel important avec les associations dans tous les domaines, avec la défense de certains intérêts et aussi un partenariat indispensable, de nature plus technique, avec les FAI car ils ont un rôle majeur de mise en œuvre des dispositifs. La police nationale doit gérer ces problématiques en partenariat avec les autres intervenants qui vont avoir des rôles importants dans les politiques que l’on veut mettre en place. »

D’autres exemples de travail collaboratif ont été évoqués. Alain Doustalet, d’Orange, a ainsi présenté des programmes de formation mis en place, en particulier, pour les enquêteurs.

 

Les internautes, acteurs de la lutte contre la cybercriminalité

Collaboration entre les pouvoirs publics et l’industrie numérique, mais aussi collaboration entre les associations et les utilisateurs. Des plateformes de signalement, qui font appel aux internautes existent déjà.

Valérie Maldonado a dressé le bilan de Pharos, qui traite les signalements envoyés par n’importe quel internaute ou par les professionnels du net, les sociétés qui ont des services de modération… Valérie Maldonado a précisément décrit le fonctionnement de cette plateforme, gérée par 14 fonctionnaires. Un outil qui fonctionne bien (123 000 signalements en 2013, contre 52 000 en 2009, année de lancement de la plateforme). Diversité des infractions en cause : pédopornographie, exploitation sexuelle, mais aussi xénophobie, incitation à l’usage de stupéfiants, escroqueries, incitations à la violence… Mais la plateforme est gérée par une équipe limitée (12 enquêteurs et deux cadres). Nécessité d’autres moyens.

Carole Gay, a présenté le service de signalement en ligne « pointdecontact.net », InHope. Créée en 1999 avec le soutien du Plan d'action pour un Internet plus sûr de la Commission européenne, l'association INHOPE a pour but de favoriser une collaboration entre les prestataires de dispositifs de signalement en ligne (ou "hotlines") en Europe et dans le monde. Cette initiative est l'une des rares réponses globales apportées au problème des activités et des contenus illégaux sur Internet. 5729 signalements ont été enregistrés en 2013.

« Aujourd’hui, la personne qui peut apporter le plus dans ce combat, ce sont les internautes », a conclu Alain Doustalet. 

CG