"Elles" ou la prostitution étudiante par la petite lucarne d'une bourgeoise

Journaliste pour le magazine « Elle », Anne décide d'enquêter sur la prostitution étudiante. Elle rencontre pour cela deux jeunes filles, Charlotte dite « Lola » et Alicja, d'origine Polonaise, qui lui racontent sans ambages leur quotidien. Ce dont elle ne se doute pas, c'est que ces rencontres vont la remettre en question.

 

La réalisatrice polonaise Malgorzata Szumowska se situe dans l'air du temps en choisissant d'aborder la prostitution étudiante. Cette thématique fascine le public mais sous la direction du Szumowska, le résultat devient un film à l'aspect presque documentaire, dont on ne comprend ni les tenants ni les aboutissants.

 

Certes Charlotte et Alicja incarnent deux visages intéressants de la prostitution étudiante pour comprendre qui en arrive là. La première est issue d'un milieu modeste, étudiante en prépa tandis que la seconde, fraîchement débarquée de sa Pologne natale, s'est perdue dans les méandres administratifs universitaires.

 

Alors que les jeunes femmes clament dans leur discours leur liberté sexuelle et leur plaisir, la réalité moins reluisante entraperçue de la prostitution étudiante n'est étonnamment pas remise en question, y compris par Anne, pourtant supposée être une journaliste féministe engagée qui enquête au-delà des apparences. Car, évidemment, les clichés ont la vie dure, Anne s'avouant troublée et presque envieuse de ces étudiantes particulières qui semblent allier argent, sexe et glamour.

 

Un film inabouti et contradictoire

Bien que Charlotte explique que ses clients ont l'âge de son père et que l'on s'imaginerait des clients bedonnants à la cinquantaine bien avancée, il s'agit de trentenaires sveltes, au pire des hommes à la jeune quarantaine. Il en résulte que Elles est un film davantage porté sur l'esthétique que sur le didactique ou la réflexion.

 

Le déroulement décousu du récit le confirme. Certaines questions d'Anne, intéressantes pour le spectateur, restent sans explication. Les scènes se suivent sans apporter une quelconque réponse et se révèlent même comiques à force de jouer sur le trouble de la journaliste. On ne peut suivre ni comprendre Anne qui en vient à quitter en plein milieu un repas d'affaires pour aller dans les quartiers chauds de la capitale car la scène se termine par une ellipse éludant ce qu'elle y fait jusque tard dans la nuit. Le film laisse un sentiment d'inachèvement et d'incomplétude.

 

On peut bien apprécier que Juliette Binoche soit filmée sans fard, il n'empêche que le personnage d'Anne est un poncif en-soi, celui de la bourgeoise- bobo-qui-mange-bio-et-écoute-Radio-Classique confrontée à la crise de la quarantaine : un couple qui se délie, un mari qui s'ennuie et regarde des pornos, un fils lycéen qui fume...

 

Paradoxalement, on ne sait aussi la teneur de l'article de Binoche pour son magazine, ce qu'il advient des deux jeunes filles interviewées, pourtant laissées en posture délicate : quelles conséquences après le viol d'un client ? Que faire quand les parents devinent l'activité de leur enfant ? Comment gérer une relation amoureuse normale de son âge ? C'est pourquoi, Elles donne au final l'impression que le sujet grave de la prostitution étudiante est plus une toile de fond pour le film, destinée à appâter le chaland et que les rencontres avec les prostituées servent de prétexte, voire de catalyseur à une néo-Madame Bovary pour bousculer sa vie bien formelle et retrouver son propre plaisir...

 

AB

Elles, un film de Malgorzata Szumowska, avec Juliette Binoche, Anaïs Demouster, Joanna Kulig, 1h36