Les femmes, le sexe et l'amour...

Philippe Brenot est psychiatre et sexologue. Fondateur de l'Observatoire du Couple, il enquête, depuis plusieurs années, sur la vie sexuelle des Français ou plus précisément sur le regard que les hommes et les femmes portent sur leur sexualité. En 2011, il publiait le point de vue des hommes. Aujourd'hui, c'est au tour des femmes.

 

Au total, plus de 5 000 personnes hétérosexuelles vivant en couple uniquement (environ 3 300 femmes et 2 100 hommes) ont été interrogées dans le cadre de cette enquête à deux volets. Pour les hommes comme pour les femmes, la méthodologie est la même. Philippe Brenot a utilisé, d'une part, ses observations recueillies pendant les entretiens avec ses patient(e)s, et, d'autre part, un questionnaire anonyme lancé sur internet, dont l'objet évident était de lever les inhibitions et de faciliter la parole.

 

Quelques remarques préalables : le nombre de femmes qui ont participé à l'enquête est nettement plus élevé que celui des hommes, culturellement moins habitués à s'observer et à se livrer ; la fourchette d'âge des femmes ayant répondu au questionnaire est plus large (de 15 à 80 ans) que pour les hommes ; mais, alors que les hommes les plus jeunes étaient ceux qui s'exprimaient le plus facilement, les jeunes femmes ne sont pas toujours les plus précises sur leurs ressentis.


Un questionnaire, des points de vue ?

Les sujets abordés dans les questionnaires étaient les mêmes, à quelques évidences près, pour les hommes et pour les femmes : la première relation sexuelle ; les rapports sexuels, leur déroulement, les pratiques... ; le plaisir et l'orgasme, la masturbation individuelle et dans le couple ; les habitudes nocturnes et les préliminaires ; les sentiments de la femme face au sexe masculin, face à son propre sexe ; les attentes personnelles et le désir ; la grossesse, la maternité et leurs répercussions sur la vie sexuelle ; les relations et la communication avec le partenaire...

Si certaines questions semblent appeler des réponses simples voire anecdotiques (le premier rapport sexuel ou les préliminaires), d'autres tels les plaisirs et les attentes, l'orgasme (vaginal ou clitoridien) suscitent des commentaires et des analyses plus « tortueux » dont l'auteur propose une sélection. Certaines conclusions paraissent parfois attendues : le plaisir « mécanique » des hommes versus celui plus affectif des femmes ; l‘inquiétude et l'isolement masculins face à la grossesse de la partenaire ; la masturbation décomplexée chez l'homme ou plus variée chez la femme... D'autres, comme le regard que portent les femmes sur leur sexe et leur plaisir, apportent des surprises et des innovations amusantes. Car l'humour sur soi et sur l'autre est au rendez-vous. Une bonne chose que de savoir rire de ses travers et de ses frustrations !

Mais cette étude ne concerne qu'à peine plus de trois mille personnes et volontaires, possédant un accès internet. En quoi peut-elle être représentative ? Qu'en est-il des millions d'autres personnes ?


Une nouvelle femme ?

Quelle image de la femme voit-on émerger de cette analyse ? Est-elle affranchie des clichés-carcans ou soumise à la terreur plus récente de la consommation du sexe comme faire-valoir et de l'orgasme à tout prix ?

De tout temps, la femme occidentale s'est exprimée auprès de ses proches, à défaut de psy, sur ses fantasmes, ses craintes ou ses habitudes sexuelles, ne serait-ce que pour comparer ses expériences ou se déculpabiliser.

Pour autant, la femme reste encore soumise aux vieux stéréotypes, en particulier quand il s'agit de s'interroger sur les attentes du partenaire. Même si les couples communiquent mieux, un tiers des femmes n'ont aucune idée des attentes masculines. Et la plupart sont encore dominées par le mythe des besoins sexuels masculins, qui sert souvent de justification à l'existence de la prostitution. Si « la plupart des hommes parlent de leur pulsion comme d'une nécessité », « de nombreuses femmes se culpabilisent de ne pas ʽassouvir les besoinsʽ de leur partenaire ». « Ce ʽplus de besoins que moiʽ, je l'entends chaque jour dans la bouche de femmes culpabilisées », constate Philippe Brenot.

Ce qui est nouveau cependant, c'est que la femme puisse aller aussi loin dans l'analyse et l'expression de ses attentes et de son vécu les plus intimes. C'est aussi le regard plus libre et plus franc qu'elle porte sur son partenaire ; tout comme l'homme semblait se montrer plus attentif à sa partenaire dans le volet masculin de l'enquête.

 

En conclusion...

Dans son ensemble, l'ouvrage est clairement présenté et facile à lire. Son objectif est d'atteindre un public large : des spécialistes, des personnes lambda, des personnes inquiètes ou en recherche d'informations...

Un paradoxe ambigu qui peut faire l'intérêt de ce livre mais aussi sa faiblesse. En effet, si les spécialistes, sexologues ou psychologues, sont depuis toujours confrontés à ces questions, l'intérêt de ce livre est de les avoir repérés, classés, mis en forme et d'y apporter quelques éléments de réponses globales. Pour les femmes et les hommes qui se posent des questions sur eux-mêmes et dont le couple évolue dans la confiance, ce livre aura donné l'occasion d'échanger sur leurs émotions et leurs sensations, les conditions de leurs désirs et de leurs plaisirs

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Par contre, pour les anxieux, le livre pourrait avoir un effet contraire et les inciter à prendre de la distance par rapport aux témoignages : la parole de « ces autres » qui se cachent derrière l'anonymat et l'internet, ne peut-elle pas en effet imposer un modèle de normalité ? N'y a-t-il pas aussi une dimension de voyeurisme, voire de banalisation, dans cette manière de mettre à jour ce qui est du ressort de l'intime et du secret ?

C'est un risque à prendre.... Car de bout en bout, sur son objet comme sur sa forme, ce livre ouvre des questionnements bien plus vastes sur l'évolution des rôles et des places des couples qui construisent chaque jour.

 

APK

Philippe Brenot, Les femmes, le sexe et l'amour - 3 000 femmes témoignent, Les Arènes, 2012.