L’esclavage est-il un métier ?

Par GÉRARD BIARD, Porte-parole de ZÉROMACHO

 

Nous n'irons pas au bois - ZéromachoIl paraît que la prostitution est un « métier ». Le « plus vieux du monde », même. Drôle de métier, dont la « vocation » ne toucherait que les plus pauvres d'entre les pauvres. Drôle de métier, dont la « formation » se ferait à coups de pied dans le ventre et à coups de seringue dans les bras, avec de temps en temps un viol collectif en guise de stage d'insertion. Drôle de métier, qui consisterait à passer ses journées et ses nuits accroupie entre deux camions ou appuyée contre un arbre, pour recevoir dans sa bouche, son anus et son vagin le sperme de centaines et centaines d'inconnus. Drôle de métier, qui serait « encadré » par des truands et des trafiquants de bétail humain. Drôle de métier, dont l'écrasante majorité de la « main d'œuvre » serait constituée d'esclaves.

 

Soyons sérieux. La prostitution n'est pas un métier, mais une activité cauchemardesque exercée sous la contrainte. Contrainte économique, contrainte physique, contrainte psychologique, souvent tout à la fois. Et cette activité est exclusivement entre les mains du crime organisé, qui en a fait un système économique reposant sur une construction sociale il est vrai millénaire - le patriarcat et la domination masculine -, et générant des profits colossaux pour un investissement minimum. Cela a toujours été le cas, ça l'est encore plus à l'heure de la mondialisation décomplexée et du « marché » tout puissant.

 

Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire de la prostitution, derrière Irma la douce, qui est un fantasme, on trouve toujours Dédé la saumure, qui est une réalité. Si l'on considère que la prostitution est un métier, il faut admettre que le proxénète est un chef d'entreprise respectable et que les réseaux de trafiquants sont des multinationales honorables, susceptibles de figurer au Cac 40.

 

Oui mais, disent les réglementaristes, il existe des personnes prostituées qui exercent cette activité par choix et en toute indépendance. On ne peut pas les ignorer, il faut leur donner des droits et ne pas décourager l'auto entrepreneuriat. Sans doute. Mais peut-on construire la « liberté » de quelques uns sur l'exploitation de la majorité ? Les partisans du capitalisme sauvage et de la loi de la jungle répondront oui, sans hésiter. Ce n'est pas mon cas. J'estime que l'urgence n'est pas de règlementer la situation de quelques centaines d'individus qui affirment avoir fait un choix - et qui ont donc une alternative -, mais de mettre un frein à l'exploitation inhumaine de dizaines de milliers de personnes qui n'ont pas le choix, et qui sont réduites au silence.

 

La réglementation n'empêche pas le proxénétisme et le développement des réseaux. Au contraire, elle leur offre une aire de jeu inespérée, sur laquelle ils peuvent évoluer et proliférer, aussi bien à découvert que de façon souterraine, comme le constatent aujourd'hui les autorités néerlandaises et allemandes. Logique. D'abord parce que, pour réglementer la prostitution, on a été obligé d'assouplir les lois sur le proxénétisme. Ensuite parce que, puisque le « marché » est ouvert et que la « demande » est encouragée, on aurait tort de se gêner.

 

La réglementation n'empêche pas la prostitution de rue. À la Jonquera, les gangs de maquereaux et de passeurs se battent pour le contrôle des ronds-points, tandis qu'à Bonn et à Zurich, la municipalité a installé des horodateurs pour les prostituées de rue, en constante augmentation, afin que ces « fraudeuses d'impôts » n'échappent pas aux taxes prélevées sur les prostituées qui exercent en « maison »...

 

La réglementation n'est pas un gage de sécurité pour les personnes prostituées. Dans les pays réglementaristes, la prostitution illégale, donc clandestine, est en constante augmentation.

 

La réglementation n'est pas la forme la plus aboutie du progrès social. Combien de temps les personnes prostituées qui se proclament indépendantes pensent-elles le demeurer, indépendantes, dès lors que l'on offrira une possibilité aux proxénètes et aux réseaux d'exercer en toute légalité ? On se plaint déjà des patrons voyous, que dira-t-on le jour où les vrais voyous auront le droit d'être patron ? On souhaite bien du plaisir, et surtout une belle force de conviction, aux futurs avocats des « travailleuses du sexes » qui plaideront le harcèlement devant les Prud'hommes... En Bavière, une chômeuse s'est récemment vue proposer par le bureau d'emploi local un poste d'« hôtesse » dans un bordel. Doit-on considérer cela comme une « offre raisonnable » ? Et à partir de combien de refus d'« offres raisonnables » de ce type se voit-on privé de ses droits à indemnisation ?

 

L'abolition de la prostitution n'est pas une question de morale, mais une question de justice. Ce n'est pas un hasard si ces prix 2013 de la Fondation Scelles se sont ouverts par un concours de plaidoiries. Je ne crois pas forcément aux vertus punitives de la loi, en revanche, je crois en ses vertus pédagogiques. En démocratie, la loi s'adresse avant tout à ceux qui la respectent, qui sont la majorité. Pour combattre la violence routière, on n'hésite pas à brider la « liberté » de quelques uns, qui trouvent viril de débouler à cent kilomètres heures devant une école. Pourquoi faudrait-il s'interdire d'inverser enfin la charge pénale, de supprimer cet aberrant délit de racolage qui punit exclusivement les victimes, et de responsabiliser pénalement les clients de la prostitution, qui sont non seulement les complices, mais le principal moteur d'un système d'exploitation criminel ?

 

Il ne s'agit pas de les clouer au pilori, encore moins de les jeter en prison, qui sont suffisamment surpeuplées comme ça - en Suède, aucune peine d'incarcération n'a jamais été prononcée -, mais simplement de dire au citoyen que le système prostitueur n'a pas sa place dans un état de droit qui a inscrit le principe d'égalité dans sa Constitution. La France a aboli les privilèges, l'esclavage, la peine de mort, elle ne peut qu'abolir la prostitution.

 

La question que l'on doit se poser est politique : quelle société voulons-nous ? Personnellement, j'aspire à un avenir, le plus proche possible, où Jean-Pierre Pernault, concluant son journal de treize heures par un de ces goûteux reportage sur les « vieux métiers oubliés », tricoteurs de bérets en foin des Cévennes et tailleurs de sabots en bouse de yack du Morvan, nous présentera, des trémolos dans sa belle voix de vigie de la France profonde, la dernière prostituée de France, flanquée de son maquereau noyé dans sa saumure.