"Le corps des femmes n'est pas une marchandise, ni à prendre, ni à vendre : abolition !" ont scandé les associations abolitionnistes place Pigalle, après leur rassemblement pour l'abolition citoyenne du système prostitueur.
Samedi 13 avril, soixante-sept ans après l’adoption de loi Marthe Richard qui fermait les maisons closes en France, le collectif "abolition 2012" organisait une conférence pour appeler la France à abolir le système prostitueur. Cinquante-quatre associations féministes, abolitionnistes et d’aide aux personnes prostituées étaient réunies dans la salle de la Machine du Moulin Rouge, à Paris pour présenter leurs revendications :
- l’adoption d’une politique globale et cohérente visant à l’abolition de la prostitution,
- la mise en place de mesures de protection, d’aide et de réinsertion des personnes prostituées,
- le développement de la lutte contre les trafiquants et les proxénètes,
- l’instauration d’une politique d’éducation à une sexualité respectueuse de l’autre et à l’égalité entre les hommes et les femmes
La Parole des « survivantes » de la prostitution
En ouverture de la convention, l’actrice Eva Darlan a lu le témoignage de Fiona, ancienne prostituée qui a eu le courage de dénoncer son proxénète. La salle bondée écoute silencieusement ses paroles : "On a la haine, l'impression d'être un morceau de viande sur un marché. C'est comme à l'usine, sauf que c'est l'abattoir. C'est plus dangereux que dans la rue et on interdit au patron d'intervenir. Il n'y a que le business qui compte, le client paie donc il a le droit de faire ce qu'il veut. Tout se qui se passe dans un bordel, reste dans un bordel. C'est une violence, et ce qu'il faut crier c'est qu'on ne choisit pas.".
A la suite de Fiona, d’autres "survivantes de la prostitution" ont à leur tour témoigné. Rosen Hicher, Nathalie et Laurence Noël ont, elles aussi, expliqué le milieu, la peur, la reconstruction, la honte et le silence. "On ne comprend la violence de la prostitution qu'en en sortant" !
L’« exigence de responsabilité » de Danielle Bousquet et de Guy Geoffroy
Puis la parole fut donnée aux auteurs du rapport parlementaire « Prostitution : l’exigence de responsabilité », qui, en avril 2011, au terme d’une étude de plusieurs mois, appelaient pour la première fois en France à suivre le modèle suédois et à interdire l’achat de services sexuels : Danielle Bousquet et Guy Geoffroy.
Danièle Bousquet, ex-députée PS du Morbihan, actuellement présidente du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, a d’abord évoqué les résistances au projet.
"Invoquer la fatalité des faits, les pulsions masculines ou nier le système patriarcal des réactions illustrent la méconnaissance du sujet et les idées reçues sur la prostitution". Le mouvement abolitionniste au contraire, affirme que la prostitution est une violence, une atteinte à la dignité. Madame Bousquet a ensuite interpellé ceux qui prônent la libre disposition du corps et par conséquent la « liberté » de se prostituer : "Au nom de la liberté sexuelle, c'est l'apologie de l'exploitation sexuelle qui est faite. Il s'agit là d'un recul dans les droits humains et des femmes. " Dans la prostitution, a-t-elle expliqué, on assujettit la femme au bon plaisir des utilisateurs. En demandant l'égalité homme-femme et le respect de l'être humain, les abolitionnistes suivent les principes fondamentaux de la constitution. Au regard de la responsabilité du client, Mme Bousquet répond : "S'il n'y a pas de client, il n'y a pas de prostitution, donc pas de traite."
Pour Guy Geoffroy, député UMP de Seine-et-Marne, "le mythe du plus vieux métier du monde est en réalité le plus vieux scandale de la nature humaine." Selon lui, il est impossible de tolérer la prostitution tout en luttant contre la traite des humains. C'est un combat qui appartient à la place publique, et non à la sphère privée, et qui n'a pas de couleur politique. L'enjeu essentiel est de responsabiliser et de punir pour avancer vers l'égalité et la fin des violences.
Des personnalités publiques appellent à l’abolition de la prostitution
Puis des personnalités publiques, d’horizons professionnels divers (anthropologue, réalisateur, syndicaliste, magistrat, médecin…), sont venus exprimer, chacun à leur manière, leur soutien à la cause abolitionniste.
Par vidéo enregistrée, la célèbre anthropologue Françoise Héritier, professeure au Collège de France, s’est interrogée sur la prétendue « légitimité » de la prostitution. Selon elle, la prostitution vient d'une éducation dans laquelle les besoins des hommes sont tenus pour supérieurs à ceux de la femme ; et le corps des femmes considéré comment appartenant à tous les hommes s'il n'est pas protégé par un ayant-droit masculin (père, frère, fils, mari).
Emmanuel Zemmour, président de l'Union Nationale des Etudiants de France, a rappelé que la prostitution évolue dans un environnement de précarité, de domination et de sexualité achetée. C'est une violence physique, économique et politique à laquelle les jeunes et les étudiants sont particulièrement vulnérables. Selon lui, la banalisation de la remise en cause de l'intégrité physique est un combat syndical.
Pour Blandine Métayer, auteure-interprète, la prostitution représente une négation de l'autre, considéré comme un bien de consommation. "Il ne peut y avoir d'égalité dans ce rapport de force, c'est un viol permanent et la honte doit changer de camp."
Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la Santé, a présenté sa lutte pour l'abolition en faveur du combat féministe et des valeurs républicaines : la dignité de l'être humain et incessibilité de son corps. Elle clôt son intervention en paraphrasant Lacordaire : "Quand le fort opprime le faible, c'est la liberté qui opprime et le droit qui protège".
Yves Charpenel, magistrat et président de la Fondation Scelles, a rappelé que l'espérance de vie moyenne des personnes prostituées ne dépasse pas 34 ans et que 95% des personnes prostituées en France viennent de l'étranger.
Les politiques en faveur de l'abolition du système prostitueur
C’est Benoît Hamon, Ministre chargé de l'Economie sociale et solidaire et de la Consommation, qui intervient le premier : « Je suis abolitionniste car je n’accepte pas le commerce des femmes et de leur corps ». Il rappelle ainsi la volonté manifeste du gouvernement pour abolir la prostitution en France : en juin 2012, la ministre des Droits des Femmes Najat Vallaud-Belkacem se prononçait contre la prostitution et tout porte à croire qu’une proposition de loi sur la prostitution et la traite des êtres humains devrait voir le jour "d'ici l'automne".
A sa suite, Laurence Cohen, sénatrice du Parti Communiste, appelle à une mise en place d'actes concrets pour soutenir les principes abolitionnistes de la France. Marie-Georges Buffet, députée communiste de Seine-Saint-Denis, propose d'inscrire rapidement une loi à l'ordre du jour. Harlem Désir, premier secrétaire du Parti Socialiste, a adressé par vidéo un message de soutien au collectif Abolition. Il a rappelé que si l’abrogation du délit de racolage est acquise, la pénalisation du client est encore au stade de la discussion et que ce combat serait de longue haleine.
Vers l'adoption d'une loi abolitionniste globale !
C’est vers l’adoption d’une loi abolitionniste globale que la France doit se tourner, a rappelé en conclusion les membres du collectif Abolition 2012. En 1999, la Suède fut le premier pays à pénaliser l’achat de services sexuels et à considérer la prostitution comme une violence faite aux femmes. Au cours de l’après-midi, la journaliste suédoise Kajsa Ekis Ekman, avait d’ailleurs présenté les résultats de cette politique : la prostitution de rue a diminué de 50%, et 80% des Suédois se déclarent en faveur de cette loi.
S’inspirant de ce modèle, le collectif Abolition 2012 appelle donc les parlementaires de l'Assemblée Nationale et du Sénat à :
-> supprimer toute répression envers les victimes de la prostitution
-> se doter de moyens de protection et d'accompagnements pour les personnes prostituées dans les domaines social, de santé et de logement
-> offrir des alternatives à la prostitution et des droits aux personnes prostituées (notamment étrangères)
-> interdire l'achat d'actes sexuels
-> pénaliser le client de la prostitution
-> développer la lutte contre le proxénétisme
-> instaurer une politique d'éducation à la sexualité dans le respect et la liberté
-> informer et sensibiliser le public aux réalités de la prostitution
AB
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