Toutes les personnes qui s'estiment bien informées sur la question prostitutionnelle et qui s'autorisent à colporter tous les poncifs que nos sociétés véhiculent sur ce qui serait banalement le « plus vieux métier du monde » seraient bien avisées de consulter sagement un dictionnaire.
Ils y apprendraient en particulier que l'origine du mot « prostitution » est synonyme d'avilissement.
Ce n'est probablement pas un hasard !
Car toutes les études sérieuses et complètes qui ont été réalisées à ce sujet - à l'instar du rapport que j'ai remis à l'Assemblée Nationale au nom de la mission d'information créée à cet effet, et qui a été approuvé à l'unanimité - démontrent que cette « activité », faussement présentée comme une traduction éloquente de la liberté de chaque personne de disposer librement de son corps, n'est en fait qu'une des manifestations les plus terrifiantes de l'exploitation la plus sordide que subissent au quotidien toutes les victimes du commerce des êtres humains.
Car la prostitution, contrairement à ces affirmations jamais sérieusement étayées, n'est rien d'autre qu'une violence inouïe imposée par des trafiquants sans scrupules à des personnes, femmes ou hommes amenées à s'y livrer. C'est une pratique que refuse par ailleurs l'éthique profonde de notre République, fondée sur le refus assumé de toute marchandisation du corps humain.
Elle est le témoignage historique de la domination d'un sexe sur l'autre, installée et développée au fil des temps sous couvert de répondre à un prétendu besoin social « magnifié » par la réponse qu'elle apporterait aux soi-disant besoins irrépressibles des hommes.
Du libertinage au « libertarisme », déviation scandaleuse de la libération sexuelle par ailleurs salutaire, il n'y a ainsi qu'un pas que franchissent aisément ceux qui veulent rester sourds et aveugles devant toutes les souffrances subies avant, pendant et encore après l'exercice de cette activité qui expose aux pires dangers, du viol qui y règne en maître aux violences physiques et morales qui accompagnent l'obligation grandissante de « l'abattage » auquel il faut se livrer à mesure que l'on espère sortir des griffes de trafiquants qui ne cessent de faire croître leurs exigences pour que les prostituées sous leur coupe payent l'intégralité de leur dette à leur égard, dette qui ne sera en fait jamais éteinte.... !
C'est un rouleau compresseur qui annihile la dignité au point que les victimes que sont les personnes prostituées n'ont souvent pas d'autres moyens de s'affirmer encore « debout » que de se proclamer « libres » de s'y consacrer.
Tous les témoignages que j'ai reçus, que ce soit en France, en Suède, en Espagne, aux Pays-Bas etc., qu'ils viennent de personnes encore en situation prostitutionnelle ou de celles qui ont réussi à en sortir sont édifiants : ils traduisent une descente vers l'horreur qui détruit l'être en profondeur au point que la reconstruction est souvent difficile à envisager et à mener.
A l'heure du développement des nouvelles technologies qui permettent aux traiteurs d'êtres humains de diversifier leur organisation et leurs pratiques et d'espérer ainsi échapper aux poursuites, le danger est colossal du côté d'une jeunesse déboussolée par rapport à son avenir et qu'une confusion entre liberté affichée et liberté réelle peut mener à la pire des dépendances, celle qui frappe sourdement au nom d'une certaine « facilité » et de prétendues « valeurs modernes ».
Et c'est à l'échelle européenne et mondiale que doit s'organiser, sur fond de prise de conscience et de responsabilité, la lutte implacable contre ces réseaux criminels que rien n'arrête à partir du moment où de très gros profits financiers sont en jeu. Et c'est bien le cas en l'espèce.
Et ce n'est insulter personne que d'inviter les clients de la prostitution à s'interroger sur la responsabilité qu'ils prennent non seulement à enrichir ces criminels mais plus encore à croire bénéficier de « faveurs tarifées » qui seraient librement consenties par des femmes et des hommes dont l'histoire personnelle, souvent marquée d'une blessure profonde et invisible, a entraîné le relâchement de la quête de tout être humain au maintien de sa dignité dans les pires épreuves.
Je leur dit que la plus belle contribution qu'ils pourraient apporter à la lutte incessante qu'il faut mener contre ce fléau, c'est bien de réfléchir et de se pencher assidûment sur ce qui entretient quelquefois leur « bonne conscience »!
Guy Geoffroy est député de Seine et Marne. Il a été le rapporteur des deux lois de 2005 et 2010 contre les violences faites aux femmes, et rapporteur de la mission d'information sur la prostitution qui a rendu à l'Assemblée Nationale en 2012 son rapport intitulé « En finir avec le mythe du plus vieux métier du monde ».