Helmut Newton et le porno chic

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Helmut Newton et le porno chic

Si l'exposition du photographe Helmut Newton qui se tient actuellement au Grand Palais rencontre un grand succès auprès du public, les entreprises, d'ordinaires friandes de manifestations culturelles à offrir à leurs clients, sont réticentes à associer leur nom à celui pour lequel l'expression « porno chic » a été inventée.

 

Depuis les années 90, les publicitaires exploitent la veine du « porno chic », recyclant des fragments de l'univers de Helmut Newton comme autant de recettes destinées à choquer pour captiver le regard et mieux vendre. Sans souci éthique des conséquences de leur travail qui met en scène l'usage banalisé de corps livrés à la jouissance, ils contribuent à vulgariser une vision fallacieuse de l'esclavagisme sexuel, qui occulte la réalité sordide et violente du phénomène.

L'exposition rappelle avec limpidité la radicale différence de la démarche de Newton par rapport à ses imitateurs. Elle démontre à quel point le travail de Newton est d'abord la mise en image d'un univers personnel fantasmatique dont la force et l'impact proviennent précisément de l'authenticité de l'artiste par rapport à sa propre intimité. Sa lucidité par rapport à cette subjectivité assumée a pour conséquence la revendication du caractère hautement artificiel (au sens de travaillé et éloigné de la nature) de ses images.

 

Images de la femme newtonienne

L'univers fortement sexualisé, souvent ironique et volontairement de mauvais goût d'Helmut Newton s'impose, à partir des années 70, dans le monde aseptisé de la photo de mode. De la haute couture il respecte les codes de la sophistication (coiffures, maquillages et accessoires ne dérogent pas aux usages) qui flirtent très souvent avec ceux du cinéma des années 30, familier du jeune Helmut dans le Berlin de l'entre deux guerres. Les éclairages, très soignés, usent du contraste ombre et lumière, chers à des cinéastes comme Fritz Lang ou Murnau, découpent des zones arbitraires et donnent sa structure à l'image.

 

Newton n'aimait pas le travail en studio et lui préférait les prises de vue en extérieur, de préférence dans des lieux qui lui étaient familiers. Paradoxalement, loin de susciter l'illusion d'une réalité captée, le contraste entre le décor réel et l'extrême sophistication des modèles, des accessoires et de l'éclairage ne cesse de souligner le caractère d'élaboration et donc d'artificialité de ses clichés. En effet si Newton disait qu'une photo de mode devait ressembler à un instantané, tous les détails de la photo étaient préparés avec minutie dans un petit carnet noir. Pendant les prises de vue, June, son épouse, était le metteur en scène veillant au respect du scénario ; il n'avait plus qu'à appuyer sur le déclencheur.

La prédilection de Newton pour le noir et blanc en pleine époque d'explosion de la couleur, son goût pour les très grands formats, inspirés de ceux de la peinture, pour ses clichés de travail personnel, ses références à des œuvres célèbres picturales ou cinématographiques, tout concourt à signaler que ce qu'il nous donne à voir n'est pas la vraie vie ; c'est la projection de son univers personnel nourri du Berlin interlope de l'entre deux guerres et des premières manifestations de sa sexualité.

 

Cela contribue à instaurer presque un caractère d'étrangeté et à maintenir le spectateur à distance. C'est également vrai pour les séries « porno chic » qui font écho à la fascination de Newton pour la prostitution à laquelle son frère l'avait confronté très tôt. Il l'avait emmené voir, alors qu'il n'avait que sept ans, « Irma la rouge », célèbre prostituée berlinoise tout de cuir rouge vêtue et armée d'une cravache.

 

La femme de Newton est hors d'atteinte. Dans les nus monumentaux, sa stature, sa pose, son aspect sculptural accentué par l'éclairage, la condescendance de son attitude magnifiée par le noir et blanc, la monumentalité du format adopté, la placent aux antipodes des poncifs érotiques de la femme abandonnée au regard concupiscent du voyeur. Les féministes qui ont vilipendé le travail de Newton se sont trompées de cible : la femme newtonienne n'est pas une victime, elle se suffit à elle-même et toise ces petits bonshommes dérisoires qui oseraient la convoiter.

 

Helmut Newton vs David Hamilton, qui fait œuvre de pornographe ?

Chez Newton, y compris dans les clichés les plus ouvertement sexuels, la femme est active, elle décide, elle résiste à n'être qu'un objet passif. On comprend que l'univers sado-masochiste ait fasciné Newton quand on sait que c'est le masochiste, le faible en apparence, qui contrôle et orchestre le scénario rigoureux indispensable à mettre en œuvre pour parvenir à une jouissance. Chez son contemporain David Hamilton, exploitant la veine de la libération sexuelle dans l'air du temps et jouant d'un faux naturel dévoyé, les jeunes filles graciles obéissent à tous les codes du nu érotique occidental : femme alanguie, exposée au regard d'un homme hors champ qui pénètre dans son univers comme par effraction, jouissance promise à laquelle sa fragilité « naturelle » destine le modèle à se soumettre de bonne grâce. Tous les poncifs du statut de la femme tel qu'on le retrouve avec une terrible constance au fil du temps et des cultures sont réunis là.

 

Notre société moderne peut se glorifier d'avoir participé au processus de la libération de la femme, la route à parcourir reste longue, nous n'en sommes qu'aux prémices. Le ravalement effectif de la femme fleurit sur le terreau du sexisme larvé : une femme est acceptée dès lors qu'elle joue, au moins en apparence, le jeu du pouvoir masculin. La femme idéale est décorative et se tient à disposition des hommes pour satisfaire à toute demande matérielle, professionnelle, affective ou sexuelle. Si elle assume certaines responsabilités, elle doit reconnaître à ses partenaires masculins une suprématie dans les compétences et donc la prise de décision et l'exercice de l'autorité.

 

Si toutes ces conditions sont réunies on concèdera à la femme quelques miettes du pouvoir, et ce d'autant plus volontiers qu'elle contribuera à maintenir ses semblables dans l'univers aliénant assigné à la gente féminine.Le même schéma se répète dans les médias : une femme ne sera portée au pinacle que si elle s'avère capable d'entraîner ses semblables dans les processus aliénant de la course à la beauté et à la jeunesse.

 

C'est le même schéma qu'on trouve à l'œuvre dans le proxénétisme qui exige et fabrique des femmes objets, au sens le plus trivial et déshumanisant du terme. Ce n'est que dans la mesure où une prostituée démontre sa volonté et sa capacité à maintenir en esclavage ses semblables qu'il lui sera concédé une part, toute relative, de liberté. Devenir mère maquerelle est le seul avenir proposé aux femmes prostituées.

 

Perpétuer le système est le choix que la société attend de la femme, prostituée ou non.


DC

Exposition Helmut Newton, Galeries nationales du Grand Palais (75008)
Jusqu'au 30 juillet 2012
Tous les jours sauf le mardi, de 10h à 22h
www.rmn.fr

 

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