A l'issue de sa visite en mars 2012, le Groupe d'experts sur la lutte contre la traite des êtres humains du Conseil de l'Europe (GRETA) publie ses conclusions sur la France : un rapport de 80 pages et 35 recommandations couvrant tous les champs d'action de lutte contre la traite des êtres humains.
Composé de 15 membres indépendants, choisis pour leurs compétences dans les domaines des droits humains, de l'assistance et de la protection aux victimes, le GRETA a pour mission de veiller à la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l'Europe sur la traite des êtres humains, adoptée en 2005, entrée en vigueur en 2008. Concrètement, il s'agit de visiter l'ensemble des pays signataires et, à partir d'entretiens avec les différents acteurs de la lutte contre la traite et de questionnaires adressés aux autorités concernées, de dresser un état des lieux de la situation de la traite et d'évaluer l'efficacité des réponses apportées, en conformité avec la Convention du Conseil de l'Europe.
En 2012, les experts du GRETA ont visité la France. La Fondation Scelles a alors été auditionnée avec d'autres ONG. C'est donc avec impatience que l'on attendait ce rapport. Quelles sont les conclusions et les recommandations des experts ?
Le GRETA souligne d'abord la difficulté à dresser un état des lieux, voire seulement à identifier les tendances du phénomène. En l'absence de statistiques détaillées, on ne peut s'en tenir qu'à quelques données globales : il pourrait y avoir plusieurs milliers de victimes par an ; la majorité des victimes de la traite en France le seraient dans le cadre de réseaux de prostitution, essentiellement en provenance d'Europe de l'Est, d'Afrique subsaharienne (en particulier du Nigéria), du Brésil, du Maghreb et de Chine ; le nombre d'enfants victimes de la traite serait en augmentation, notamment les enfants d'origine rom et provenant d'Europe du Sud-Est qui seraient exploités aux fins de mendicité et vol forcés.
Une des premières recommandations des experts concerne donc la connaissance du phénomène. Les autorités françaises sont incitées à concevoir un système statistique complet et cohérent sur la traite et à encourager les travaux de recherche sur ces questions de manière à avoir une réflexion approfondie sur les réponses à y apporter.
Mais la connaissance passe aussi par une perception claire des définitions. « Une certaine confusion persiste entre l'infraction de traite et celles des différents types d'exploitation, notent les experts, ce qui n'est pas sans affecter les droits dont bénéficient les victimes, le degré de sanctions encourues par les trafiquants et le nombre des condamnations ».
Le GRETA recommande donc de « modifier la définition de la traite afin d'inclure expressément parmi les buts prévus l'exploitation aux fins de travail ou services forcés, d'esclavage ou de pratiques analogues à l'esclavage, de servitude et de prélèvement d'organes ».
De manière plus globale, les experts du GRETA appellent la France à « prendre la pleine mesure de la spécificité de la situation des victimes de la traite et notamment des enfants ».
Et, mesure complémentaire et indispensable pour « améliorer la détection des victimes potentielles (et) l'identification officielle des victimes et l'aide qui leur est apportée », les experts du GRETA demandent un renforcement de la formation des acteurs publics concernés : forces de l'ordre, aide sociale à l'enfance, personnel diplomatique et consulaire, professionnels de santé, travailleurs sociaux, inspecteurs du travail...
Tout en saluant les mesures prises par la France pour lutter contre la traite, le groupe d'experts incite les autorités concernées à « adopter une approche centrée sur la victimes et ses droits humains ».
Une telle approche engendre plusieurs types de propositions, dont voici quelques exemples :
veiller à informer les victimes de leurs droits ;
faciliter l'accès aux droits (indemnisation, assistance juridique...) « quelles que soient la nationalité des victimes et leur situation au regard du séjour » ;
faciliter l'accès au titre de séjour « d'une durée suffisante et permettant l'accès au marché du travail » ;
renforcer les mesures d'assistance aux victimes et « assurer un même niveau d'assistance à toutes les victimes quelles que soient leur nationalité, leur volonté de coopérer avec les forces de l'ordre ou leur situation au regard du droit de séjour... ».
L'identification « pas plus que l'assistance ne doivent être conditionnées par la coopération de la victime avec les autorités, et le fait qu'elle ait commis une infraction sous la pression des trafiquants ou qu'elle soit en situation irrégulière ne devrait pas prendre le pas sur son identification ».
Enfin, dernier axe d'action proposé par le GRETA : « associer la société civile ». Les experts appellent en effet « les autorités à sensibiliser davantage le grand public aux différents types de traite et de victimes », par des campagnes de sensibilisation et de d'information, mais aussi à développer des programmes d'éducation axés sur les différentes formes de traite à destination des collèges.
Dans le cadre de ces programmes de sensibilisation, il est également demander « d'intensifier les efforts destinés à décourager la demande de services fournis par des personnes soumises à la traite, toutes formes confondues ».
A la suite de la visite de la délégation du GRETA, avant même la publication du rapport, une mission Interministérielle contre les violences et la traite, rattachée au Ministère des droits de la Femme, a été créée. Son objectif : « assurer la coordination nationale de la lutte contre la traite des êtres humains au titre de la convention du conseil de l'Europe ». Elle aura ainsi à réviser « en lien avec les associations spécialisées, le projet de plan d'action élaboré en 2011 et mobilisera l'ensemble des services de l'Etat ». Précision importante : « les crédits nécessaires à son fonctionnement sont inscrits au budget de l'Etat ».
C'est là le signe que les conclusions des experts du GRETA ne resteront pas lettre morte.
CG