Les rapports se succèdent, l’abrogation du délit de racolage est en route, la responsabilisation du client pourrait très bientôt être inscrite dans la loi, et les actions d’aide aux personnes prostituées devraient être renforcées. La France ouvre le débat sur la prostitution. Enfin !
Le candidat socialiste François Hollande s’y était engagé. Puis ce fut Najat Vallaud-Belkacem qui, dès sa nomination au ministère des Droits des femmes, annonça sa détermination à « abolir la prostitution » (juillet 2012). Et aujourd’hui, l’adoption d’une loi d’abolition semble tout proche.
Du Rapport Bousquet / Geoffroy à la proposition de loi : les étapes d’une prise de conscience
C’est le résultat d’un long travail de plaidoyer et de sensibilisation. Rappelons quelques faits. En mars 2011, les députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy produisaient un rapport, qui, dix ans après le travail fondateur de la sénatrice Dinah Derycke, tente à la fois d’appréhender l’ensemble du paysage prostitutionnel en France et de lui apporter des réponses appropriées en termes de politique publique. Un titre symbolique résume l’esprit de ce travail : « Prostitution : l’exigence de responsabilité », responsabilité du client de la prostitution, responsabilité de la société à l’égard des personnes prostituées.... A la suite de ce travail, une résolution réaffirmant les principes abolitionnistes de la France a été adoptée par les députés de l’ensemble du paysage politique.
La publication du Rapport Bousquet a généré un véritable mouvement de soutien de la part des associations. Un collectif, Abolition 2012, qui, aujourd’hui, rassemble 55 associations, s’est constitué pour porter le combat abolitionniste auprès des politiques. Au cours de deux journées, en Novembre 2011 à l’Assemblée nationale / décembre 2012 au Parlement européen, des politiques de tous bords sont venus s’engager en faveur d’une loi d’abolition du système prostitutionnel.
Vers une approche globale du système prostitutionnel
Le débat transpartisan se poursuit aujourd’hui. Après Danielle Bousquet (PS) et Guy Geoffroy (UMP), Maud Olivier et Catherine Coutelle (PS), assistées une nouvelle de Guy Geoffroy, président de la commission spéciale sur la prostitution, ont été chargés de la préparation d’un nouveau rapport sur la prostitution et d’une proposition de loi. Et au Sénat, ce sont Chantal Jouanno (UNI) et Jean-Pierre Godefroy (PS) qui, dans le même esprit apolitique, ont publié un rapport d’information sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées en septembre dernier.
De cet ensemble, émerge aujourd’hui une approche globale du problème, qui sort du cadre strictement pénal. Il s’agit d’attaquer le « système prostitutionnel », dans son ensemble, à travers ses trois protagonistes (proxénètes, personnes prostituées, clients). Et pour ce faire, il faut les aborder « dans les différents aspects éducatifs, juridiques, sociaux, familiaux et pénaux de la question de la prostitution, du proxénétisme et de l’achat d’acte sexuel ». C’est ce que fait la proposition de loi déposée par Maud Olivier, examinée par l’Assemblée nationale fin novembre. C’est aussi ce que demande le rapport Jouanno / Godefroy lorsqu’il précise que le volet pénal de la prostitution est « indissociable de son pendant social ».
Une opinion publique qui commence à bouger…
Peu à peu, le regard sur la prostitution évolue. En témoignent les enquêtes d’opinion. En juin 2012, dans un sondage Harris (publié par Grazia / http://www.harrisinteractive.fr/news/2012/29062012.asp ), 59% des femmes interrogées se prononçaient favorables à une sanction du client de la prostitution. En octobre dernier, un autre sondage (TNS Sofres) faisait apparaître des résultats proches : 73% des personnes interrogées, soit un Français sur 5, se déclaraient en accord avec le projet de responsabilisation des clients et favorables à la mise en place d’un stage d’une semaine de sensibilisation en guise de sanction. Les vives réactions qui ont suivi la publication de la pétition des 343 salauds confirment cette évolution.
Au-delà de ce mouvement de l’opinion, l’enquête de Grazia soulignait plus particulièrement la sensibilité des jeunes au problème : 73% des 18-24 ans et 57% des 25-34 ans se déclaraient favorables à une loi sanctionnant le client / 73% des 18-24 ans affirmaient considérer la « disparition de la prostitution » comme une « très bonne chose ». Et en septembre dernier, un collectif de « jeunes pour l’abolition de la prostitution » (http://lesjeunespourlabolition.fr/) s’est constitué pour soutenir la proposition de loi : un appel en faveur de l’abolition circule et une campagne de sensibilisation a été lancée à travers la France.
Un mouvement européen
Ce sont là des signes positifs. La société commence à faire évoluer sa perception de la prostitution et prend progressivement conscience de la complexité des problématiques. Mais ne nous leurrons pas : le chemin jusqu’à l’abolition est encore long.
Depuis l’annonce de la proposition de loi, des réactions violentes se font entendre et, à l’approche de la discussion à l’Assemblée nationale, les voix hostiles sont plus fortes. Des personnes prostituées dénoncent une « précarisation les forçant à davantage de clandestinité ». Les syndicats de police annoncent déjà que « la verbalisation systématique des clients sera impossible », pour cause de sous-effectifs. Les manifestes apparaissent : « 343 salauds » (qui ne sont en fait que 18 !) appellent à protéger le « droit » des hommes à aller voir des prostituées et des people désinformés font de même sous couvert de protéger les personnes prostituées… Les parlementaires sauront-ils résister à ce mouvement médiatique ?
L’inquiétude est légitime. Mais la marche vers l’abolition est amorcée et ne pourra pas être arrêtée, quelle que soit l’issue des discussions du Parlement. Car la France n’est pas seule dans ce combat. D’autres pays européens s’inquiètent du développement du phénomène et envisagent de faire évoluer leur législation sur la prostitution. Les pays réglementaristes, qui ont pensé pouvoir contrôler le marché du sexe, les premiers. L’Allemagne dresse un sombre bilan de la légalisation et une campagne qui mobilise 90 personnalités pour l’abolition de la prostitution bat son plein. En Suisse, des élus nationaux de gauche comme de droite demandent au Conseil Fédéral une révision du régime de la prostitution dans le pays. Au niveau européen, la Commission des droits des Femmes et de l’égalité des genres du Parlement européen prépare un rapport sur la prostitution dont on sait déjà qu’il soutient ouvertement l’efficacité du modèle nordique de pénalisation du client dans la lutte contre la prostitution et l’exploitation sexuelle.
C’est un mouvement européen qui est actuellement en route. Dans ce mouvement, la France a un rôle à jouer. Plusieurs pays attendent beaucoup de son exemple et des débats qui s’y tiennent. Tâchons de ne pas les décevoir.
CG