Le 30 mai dernier, au Parlement européen de Bruxelles, le Lobby européen des femmes a lancé sa nouvelle action de sensibilisation : « Jouez le jeu. Soyez fair play... Dites NON à la prostitution. », qui s'inscrit dans la campagne du LEF ‘Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution'. Pierrette Pape, chargée de politiques et coordinatrice de projet, a accepté de nous en dire plus.
L'été 2012 va être marqué par l'Euro, les Jeux Olympiques de Londres, le grand prix de Formule 1 du Canada. On entend dire que chaque événement sportif provoque un boom de la prostitution. Est-ce un fait avéré ?
En Afrique du Sud en 2010, au cours de la Coupe du monde de football, il y a eu une augmentation de la prostitution, un doublement du nombre des bordels, avec des personnes prostituées de plus en plus jeunes...
De même, en Allemagne en 2006, les autorités ont enregistré une augmentation du nombre des personnes prostituées sur les sites de la compétition. Une étude menée à Londres en 2009 montre qu'il y avait déjà une augmentation de la prostitution de rue dans les arrondissements qui accueilleront les sites olympiques.
A chaque manifestation sportive, c'est le même phénomène. Pourtant, rien n'est fait en amont, comme si les Etats refusaient de faire face à la question et de la considérer comme un problème de société nécessitant une vraie politique publique. C'est évident que l'enjeu économique de ces événements joue un rôle. Quand on ajoute à cela le discours des organisations pro-prostitution qui disent que nous jouons « les Cassandre » de mauvais augure, que la prostitution autour du sport est un mythe.... on comprend le manque de volonté politique pour s'attaquer à la question de la prostitution.
Comment peut-on expliquer ce phénomène ?
Plusieurs études anglaises sur les liens entre violence conjugale et sport montrent que les matchs de football s'accompagnent d'une augmentation des violences conjugales. Comme si le sport autorisait cette violence. A travers la glorification du sport, se joue une glorification de la virilité « traditionnelle ». Du coup, tout ce qui va avec, la prostitution entre particulier, devient en quelque sorte « naturelle ».
Cette explosion de la prostitution n'est d'ailleurs pas le fait des seuls événements sportifs. Tous les grands rassemblements comportant une majorité d'hommes (foire aux vins, salon automobile, session parlementaire à Strasbourg...) provoquent le même phénomène.
Quels messages voulez-vous faire passer ?
Nous avons voulu profiter de cette période de compétition sportive pour rappeler que la prostitution est une violence faite aux femmes, que cette violence n'est pas tolérable et que les événements sportifs ne sont pas une excuse pour la tolérer. Notre slogan, « Jouez le jeu. Soyez fair play... Dites NON à la prostitution », est lié au sport mais il peut être élargi : « Si je dis non à la prostitution autour du sport, je dis non à la prostitution en général. » C'est une accroche pour pousser les gens à s'interroger.
Enfin nous avons souhaité susciter la réflexion sur la logique de masculinité en jeu dans cette question. D'où vient l'idée qu'il serait « normal » que le supporter de foot ait une troisième mi-temps avec des personnes prostituées ? Il n'y a qu'à voir la manière dont les médias en parlent : « Les JO approchent et avec eux, il va y avoir une montée de testostérone et donc l'industrie du sexe se prépare », comme s'il y avait une fatalité. Il faut s'interroger sur ce phénomène.
En quoi consiste votre nouvelle action et quels sont ses supports ?
Nous sommes partis de l'idée du carton rouge, symbolique du sport. On peut signer notre pétition « Pour une Europe libérée de la prostitution », se faire photographier avec le carton rouge portant le slogan et nous l'envoyer pour que nous mettions la photo sur notre site. Des associations ont déjà joué le jeu et envoyé des photos de groupe, mais aussi des sportifs, comme un membre de l'équipe ‘Row for Freedom' qui va traverser l'Atlantique en aviron contre la traite des êtres humains. De même, lors du lancement de l'action au Parlement européen, les député-e-s tenaient le carton rouge pour dire non à la prostitution, créant un effet visuel fort.
Enfin, il y a le clip « Sport, Sex & Fun », un petit film d'animation, créé par la CLEF (Coordination française du LEF) en 2010, que nous avons adapté à tous les événements sportifs. Il est réalisé sur le ton de l'humour et diffuse un message très clair. On espère qu'il sera largement partagé sur les réseaux sociaux !
Avez-vous obtenu un soutien des instances sportives européennes et internationales ?
Voici quelque temps, nous avions contacté les instances olympiques par rapport à l'égalité femmes / hommes dans le sport en général. Ils n'ont jamais répondu.
Dans le cadre de cette campagne nous leur avons présenté un certain nombre de recommandations. Nous demandons en particulier que l'UEFA et le Comité Olympique préparent des kits d'accueil pour les supporters, les sportifs et les journalistes avec des messages de sensibilisation. Nous demandons aussi que les autorités sportives réfléchissent aux pays choisis pour accueillir ces événements et privilégient des pays qui respectent les droits des femmes, luttent contre les violences faites aux femmes et considèrent la prostitution comme une forme de violence.
A terme, on pourrait envisager la création d'un code de conduite. Le règlement de la FIFA indique que l'égalité (égalité des sexes, des races...) fait partie des valeurs que les officiels et les sportifs doivent respecter. Pourquoi ne pas proposer un code de conduite pour toutes les personnes qui gravitent autour du sport, un peu comme les Nations Unies l'ont fait pour les Casques bleus ?
Depuis quelques années, les mêmes messages de sensibilisation circulent à l'occasion de chaque événement sportif. Observez-vous une évolution des mentalités ?
Nos campagnes s'adressent d'abord aux politiques. Nous n'avons pas les moyens d'atteindre les supporters. Il faudrait peut-être réfléchir à des campagnes de sensibilisation menées aux abords des stades. Par contre, nous avons des soutiens dans le milieu sportif. L'organisation sportive irlandaise SARI (Sport Against Racism Ireland), engagée dans la lutte contre le racisme, soutient notre action. Les deux gagnants du 100 mètres de l'Africa Week Athletics de Dublin ont aussi été photographiés avec notre slogan.
Aujourd'hui, on prend conscience du lien entre sport et violence. En 2006, le Ministère de la Jeunesse et des Sports et la Fédération française de football avaient réalisé un clip avec des sportifs français connus pour dénoncer l'exploitation des femmes autour des stades et sensibiliser les supporters : « Ne soyons pas complices ». Cette campagne officielle était une évolution importante.
Maintenant, il faut continuer à aller vers un refus des stéréotypes sur la masculinité et vers la construction d'une société basée sur des valeurs de respect et d'égalité.
Propos recueillis par CG