Refusant les clichés, Claudine Legardinier s’interroge sur les développement récents de la prostitution dans nos sociétés libérales et propose un programme pour construire un monde sans prostitution.
« Le plus vieux métier du monde », « mal nécessaire », « besoins irrépressibles », « empêche le viol »… La prostitution est un sujet encombré de stéréotypes aussi archaïques que résistants. Peut-être parce que tout un système sociétal de domination y est en jeu : de domination du mâle, par la violence première qu'est le rapt et le viol.
Mais, avec le développement vertigineux de ce que l'on pourrait appeler "la prostitution de masse", c'est-à-dire la création d'un marché du sexe, avec ses "commerces parallèles" (drogue, alcool, hôtels, maisons closes, sites internet, salons de toutes sortes : danse, massage, rencontres, etc...), un autre constat s'impose : les États sont devenus les premiers bénéficiaires de ce que l'on désigne souvent comme « l'industrie du sexe ». Et cela concerne tous les États, sans exception, y compris ceux qui tentent - avec ou sans succès - d'abolir, de contrôler, de réglementer la prostitution, sans se donner les moyens d’aller à la source de ce drame majeur de la société.
L’objectif de Claudine Legardinier, journaliste, spécialisée dans les droits des femmes et la prostitution, est d'inciter le lecteur à s'interroger sur cette évolution. Tout en s'appuyant sur les chiffres des énormes gains financiers des trafiquants et des États vivant de la prostitution; tout en s'appuyant à la fois sur les témoignages des victimes, sur les réactions primaires et quasi-bestiales des clients dans leur bon droit, et sur les a-priori de tous ordres de la majorité des individus, ce livre déconstruit, avec une intelligence remarquable, voire parfois avec humour (il en faut, pour ne pas hurler ou baisser les bras) un immense mur de clichés si puissamment élevé que la plupart des gens constatent en se résignant avec un découragement désolé : "C'est ainsi ! C’est le plus vieux métier du monde ! C’est sans issue ni solution !".
Claudine Legardinier, loin de se résigner ou de se décourager, dit clairement NON. Et, en cela, son livre pose le problème d'un choix de société : l'égalité femme-homme oui ! les droits des uns et des autres oui ! mais il faut avant tout se donner les moyens de briser les innombrables habitudes de pensée et comportements si réducteurs (recensés et dénoncés en première partie). Il s'agit de reconsidérer honnêtement les choses « là où ça fait mal », « là où ça rapporte aussi », d'abord les finances et les portefeuilles, et surtout, en parallèle, de donner tout son sens à la violence de genre et de sexe.
Un programme pour un monde sans prostitution
Enfin la troisième partie du livre propose des ouvertures et des solutions pour abolir ce phénomène. Une gageure? Non, un programme autour de trois axes: éduquer, interdire, sanctionner.
a) Éduquer à l'égalité des genres et à la réalité des droits fondamentaux, notamment au respect de son corps et à de sa sexualité :
éduquer tous les clients-consommateurs de sexe tarifié, quelles que soient leurs conditions socio-professionnelles, de leur non-droit sur le corps de l'autre, même prétendument libre et consentant,
éduquer les organisateurs de manifestations de tous ordres, sportives, culturelles ou autres, nationales et internationales, qui sont prétextes à l’exploitation,
et, bien sûr, investir dans la formation, l'éducation et le suivi des personnes victimes de la prostitution; régulariser leur situation administrative et leur assurer une protection globale, humaine, sociale et légale.
b) Interdire le marché du sexe avec ce terrible concept de tarification à l'acte; et dans le même temps interdire les eros-centers, maisons closes, maisons de débauche, maisons de servitudes (quelle qu'en soit l'appellation).
c) Sanctionner :
pénaliser le client-consommateur de la prostitution,
prévoir des mesures d'applications du principe d'extra-territorialité et des aggravations des sanctions selon la vulnérabilité des victimes,
alourdir les sanctions des proxénètes et trafiquants de sexe, au même titre que les trafiquants de drogues.
Surveiller, punir ? Non, éducation, interdiction, sanction; en se fondant sur le modèle suédois avec un vrai choix de société avancée et égalitaire.
Outre son intelligence et sa sensibilité vibrantes, ce livre ne s'interdit pas un militantisme fort mais curieusement juste et déterminé. Pas d'inutiles protestations ou dénonciations, mais une lignée de faits qui ont construit et piégé une société et qu'il est temps de stopper, en faisant le choix de se donner les moyens et de considérer tous les individus comme des êtres humains à part entière et dans un rapport égalitaire réel.
Une utopie? NON, un vrai programme sociétal, un plan méthodique, bien étudié et construit. En ce sens, ce livre ne fait pas rêver, penser, voire espérer : il assure et rassure. Tout est et reste possible.
Ap K.
Claudine Legardinier, Le plus vieux métier du monde ?, Ed. Les points sur les i, Paris, 2013, 12 euros.
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