Rianne Verwijs est chercheuse au Verwey-Jonker Instituut d'Utrecht (Pays-Bas). Elle a participé à un rapport publié en 2011 : «Loverboys en hun slachtoffers. Inzicht in aard en omvang problematiek en in het aanbod aan hulpverlening en opvang »(Les loverboys et leurs victimes. Considérations sur l'ampleur et la nature du phénomène et sur l'aide apportée par les structures de protection de la jeunesse)
Comment définiriez-vous un loverboy ?
Les loverboys sont souvent présentés comme un «phénomène nouveau». Mais ce n'est pas mon avis. Le loverboy devrait être considéré comme une forme spécifique de traite des êtres humains à l'échelle nationale. Ce qui la distingue de la traite des êtres humains habituelle, c'est la méthode utilisée par le loverboy, caractérisée par plusieurs traits communs. Il commence par recruter et séduire sa victime potentielle, généralement mineure et vulnérable. Il lui fait croire qu'elle a ou pourrait avoir une relation amoureuse avec le loverboy et la rend dépendante de lui en la coupant de son environnement, pour mieux l'exploiter par la suite. La prostitution ou la participation à des viols collectifs et à des tournantes sont les formes habituelles de l'exploitation, qui a lieu aux Pays-Bas. Mais nous avons aussi trouvé des jeunes filles exploitées dans le trafic de drogue, rackettées ou prises dans ces différents modes d'exploitation.
C'est la méthode typique du loverboy, même si les moyens peuvent être différents. Nous avons également constaté que les périodes de séduction sont de plus en plus brèves et que le recours aux menaces et à la violence par le loverboy peut survenir à un stade plus précoce du processus. Cela semble indiquer un durcissement et une pragmatisation des méthodes de travail du loverboy.
Ne pensez-vous pas que le loverboy est d'abord un concept qui recouvre plusieurs réalités ?
C'est certain. Il n'existe pas une définition claire du phénomène aux Pays-Bas. Le concept est utilisé différemment par les médias, par les politiques et par les professionnels de la santé, en fonction de leurs besoins et des circonstances du moment. Par exemple, le terme est parfois utilisé pour désigner de jeunes hommes, qui opèrent seuls et prennent le temps de séduire et de manipuler leurs victimes avec qui ils entretiennent une relation sur le long terme, relation dans laquelle l'exploitation s'intensifie progressivement. Mais nous avons également rencontré plusieurs professionnels qui décrivent les loverboys comme de simples pions dans des réseaux criminels professionnels. En outre, certaines jeunes filles, qui ont été victimes de trafiquants d'êtres humains qui n'ont pas utilisé la technique typique du loverboy, se décrivent comme les victimes d'un loverboy. Ce mot sert de concept générique et recouvre des réalités absolument différentes. De ce fait, il est très difficile de donner une estimation de l'ampleur du phénomène.
Cependant, le fait qu'il y ait des réalités différentes sous une même notion ne signifie pas que la traite nationale ou la prostitution juvénile ne constituent pas des problèmes graves qui doivent être abordés. Il serait préférable de ne pas considérer les loverboys comme un phénomène distinct, mais de se concentrer davantage sur la prévention de la prostitution juvénile et sur la traite des femmes à l'échelle nationale.
On lit fréquemment que les loverboys seraient de jeunes hommes, souvent d'origine étrangère, délinquants. Est-ce le cas ?
Rien ne prouve que les loverboys sont plus souvent d'origine étrangère. Ils peuvent être de tous les âges et de toutes les ethnies. Mais ils sont souvent relativement jeunes - de 16 ans à 35 ans - et différentes sources suggèrent qu'ils ont souvent des casiers judiciaires, principalement liées à une agression ou des faits de violence ou de vols à main armée.
Selon des rapports récents, les loverboys seraient souvent en lien avec les réseaux de traite des êtres humains. Qu'en pensez-vous ?
Rien n'indique que les loverboys sont liés à des réseaux internationaux de trafiquants. Certains professionnels que nous avons interrogés pensent qu'ils font souvent partie de réseaux criminels professionnels qui opèrent à l'intérieur des frontières des Pays-Bas. Ces réseaux sont très fluides, sans hiérarchie stricte. D'autres suggèrent que les loverboys travaillent principalement seuls et disposent d'un réseau de rabatteurs et de clients, auxquels ils fournissent parfois des jeunes filles ou un local pour recevoir la clientèle masculine.
Le phénomène des loverboys se développe principalement aux Pays-Bas et en Allemagne. Dans ces pays, la prostitution est légalisée et réglementée. Est-ce lié ?
Cela pourrait être lié au fait que la prostitution est plus acceptée aux Pays-Bas. Mais la prostitution des mineur(e)s est bien sûr illégale et il y a un encadrement strict de la prostitution légale. En outre, dans un projet de loi actuellement en discussion, il est proposé de relever l'âge minimum légal de la prostitution pour une femme de 18 à 21 ans.
Nous avons constaté que des jeunes filles mineures ont parfois été prostituées illégalement dans des clubs ou des vitrines. Mais c'est assez risqué car ces lieux sont régulièrement contrôlés par la police. Par conséquent, les jeunes filles sont surtout prostituées dans des chambres ou dans des maisons ou des espaces de stationnement pour éviter d'être vues. Les clients masculins sont parfois des amis ou des connaissances du loverboy.
Y a-t-il eu des procès de loverboys aux Pays-Bas ?
Il y a eu plusieurs procès. L'exploitation d'une jeune fille selon la méthode loverboy est considérée comme un acte criminel en vertu du droit néerlandais sur la traite des êtres humains. Le problème, c'est que les loverboys ont été plusieurs fois acquittés par manque de preuves ou parfois n'ont même pas été poursuivis parce qu'il n'y avait pas de preuves suffisantes. Souvent les victimes vont hésiter à porter plainte contre leur loverboy parce qu'elles sont menacées, parce qu'elles sont dans leur totale dépendance ou parce qu'elles ont-elles-mêmes commis des actes criminels pendant le temps de leur exploitation.
Comment les victimes sont-elles aidées et soutenues ?
Aux Pays-Bas, il existe un grand nombre de projets et d'activités qui visent à prévenir le risque de retomber dans l'exploitation. Les jeunes filles victimes ou potentiellement victimes peuvent être prises en charge dans des centres de soins pour les mineur(e)s, parfois contre leur gré quand il y a une injonction du tribunal. Les victimes adultes peuvent être accueillies dans des foyers. Les établissements de soins pour les mineur(e)s aux Pays-Bas offrent un large éventail de programmes d'assistance et de traitement, certaines institutions étant plus spécialisées que d'autres. Aux Pays-Bas, il y a actuellement un débat sur le type de soutien à apporter: faut-il une aide spécifique pour les victimes de loverboys ou un traitement individuel dans des structures plus importantes où les victimes sont avec d'autres jeunes.
Propos recueillis par CG
R. Verwijs, A. Mein, M. Goderie, et al., Loverboys en hun slachtoffers. Inzicht in aard en omvang problematiek en in het aanbod aan hulpverlening en opvang, Utrecht, Netherlands: Verwey-Jonker Instituut, 2011
Résumé en anglais