Les Pays-Bas sont à la une de l’actualité. Réglementariste depuis 2000, ce pays pourrait bientôt faire évoluer sa législation sur la prostitution et Amsterdam, ville emblématique, a déjà annoncé son intention de prendre de nouvelles mesures pour lutter contre l’exploitation sexuelle d’ici l’été. 2013 pourrait-elle être l’année d’un changement aux Pays-Bas ? Nous avons rencontré Karin Werkman, chercheuse à La Haye, qui a longuement analysé pour nous la situation néerlandaise.
L'interdiction des maisons closes a été levée en 2000. Quelle était la philosophie de cette loi ?
Cette loi est l'expression d'une approche pragmatique de la prostitution (par opposition à une approche éthique). Elle se fonde sur l’idée que la prostitution est inévitable, qu’elle a toujours existé et qu’elle existera toujours. Dans cette optique, le mieux est de la rendre aussi sure et paisible que possible, en accordant un statut d'emploi et des conditions de travail aux femmes, en les « autonomisant » dans la prostitution – en donnant des droits aux « travailleurs du sexe ».
En outre, la loi repose sur une l’idée qu’il existerait une prostitution « forcée » et une prostitution « volontaire ». La « prostitution forcée », c’est par définition la traite des êtres humains. Tout le monde reconnaît que ce crime doit être combattu. « La prostitution volontaire » - dans cette philosophie - est considérée comme un choix et une profession : «travail du sexe». Les femmes sont employées dans cette « profession » très exposée et l'Etat doit leur garantir des conditions de travail sûres et humaines. Donc, l'État, la police font des contrôles réguliers de licences dans les bordels légaux et mènent des politiques axées sur la réduction des risques.
Quels étaient les principaux objectifs de cette loi ?
Ils étaient de deux ordres : le contrôle par l'Etat, en séparant la prostitution et ses "effets collatéraux" criminels ; l’amélioration des conditions de travail pour les femmes.
Plus précisément, six objectifs officiels ont alors été fixés :
- le contrôle et la réglementation de l'exploitation de la prostitution volontaire, entre autres par la mise en place d'une politique de licence municipale ;
- l'amélioration de la lutte contre l'exploitation de la prostitution forcée ;
- la protection des mineurs contre les abus sexuels ;
- la protection des personnes prostituées ;
- la lutte contre les phénomènes criminels liés à la prostitution ;
- la lutte contre le développement de la prostitution de ressortissantes étrangères en situation irrégulière.
Ces objectifs ont-ils été atteints ?
Les recherches et les enquêtes criminelles menées aux Pays-Bas indiquent que la législation actuelle – et, du même coup, ses principes sous-jacents - ont échoué à atteindre les objectifs fixés. Pour résumer : le contrôle de l'Etat n'a pas été renforcé et la situation des femmes dans la prostitution ne s’est pas améliorée.
En 2007, une évaluation globale de la loi a tenté de confronter la situation actuelle aux six objectifs formulés par le gouvernement. L’étude a permis de constater que la plus grande partie de la prostitution échappe au contrôle du gouvernement. Le nombre de mineurs et de clandestins dans la prostitution a été réduit, en raison de contrôles de police réguliers. Mais, quand on en vient à la situation des femmes dans la prostitution, l’évaluation est claire : «Il n’y a eu aucune amélioration significative » ; « le bien-être émotionnel des personnes prostituées est maintenant inférieur à celui de 2001 sur tous les aspects mesurés ; les taux de prise de sédatifs ont augmenté », les options pour quitter la prostitution sont en forte demande, mais seulement 6% des communes proposent des aides à la réinsertion.
En 2008, la police nationale (Korps Landelijke Politie Diensten) a publié une autre étude, intitulée à juste titre « Schone Schijn »(« Sauver les apparences »), menée à partir des enquêtes de l’affaire Sneep, un réseau de trafic sexuel responsables de l’exploitation de plus d'une centaine de femmes dans les bordels néerlandais.
La particularité de l’affaire Sneep, c'est qu'elle touche des femmes exploitées dans des conditions d’une violence extrême qui étaient toutes dans des bordels légaux, dotés d’une licence, s’acquittant de leurs impôts et labellisés par l'État, dans ce qui était considéré comme un business « propre » (en néerlandais "Schone»). Le rapport de la Police nationale estime que 50 à 90% des femmes de la prostitution sous licence sont sous la contrainte.
Quels sont les problèmes aujourd'hui ?
La traite des êtres humains n'a pas diminué ; des indications montrent qu'elle a même augmenté. Par ailleurs, et contrairement aux attentes, la grande majorité des femmes ne sont jamais entrées dans le système de protection sociale et leur situation dans la prostitution s’est détériorée.
« Droits des travailleurs du sexe », le « droit à se prostituer » : la prostitution n'est pas un droit. La seule situation juridique que la légalisation a amélioré, c’est celle du proxénète, celle du trafiquant, celle de l'acheteur, qui ne ressent plus de honte à aller au bordel.
En outre, plusieurs études confirment que la plus grande partie de la prostitution se développe en dehors du système légal, de manière souterraine, ce qui signifie que l'autre objectif - accroître le contrôle de l'Etat - n'a pas été atteint non plus.
Propos recueillis par CG
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