Une petite fille photographiée pour le magazine Vogue, posant lascivement devant l'objectif, outrageusement habillée et maquillée... L'affaire avait fait grand bruit dans les médias, surtout américains. Ce phénomène d'utilisation abusif de l'image du corps de plus en plus jeune émerge et s'aggrave. Désormais, il trouve son nom et sa définition : l'hypersexualisation.
Soutien-gorge rembourré pour fillettes de 10 ans, chaussures à talons pointure 24, string en taille 8 ans, des gamines ... De graves dérives ont banalisé le recours à des filles de plus en plus jeunes par la publicité et par les marques de vêtements ou de maquillage. Une grande marque de cosmétique a même créé une crème anti-âge pour les 8-12 ans... Jusqu'où est-il possible d'aller ? Ce phénomène est encore marginal en France, mais inquiétant pour les parents.
C'est pourquoi Roselyne Bachelot, Ministre des solidarités et de la cohésion sociale, a demandé à Chantal Jouanno, sénatrice UMP, un rapport sur le sujet, Contre l'hypersexualisation, un nouveau combat pour l'égalité, rendu public le 5 mars dernier. Sérieuse étude psychosociologique, ce travail s'inscrit dans l'objectif du « combat pour l'égalité » et préconise un certain nombre de recommandations, d'après l'auteure, « fondamentales et peu coûteuses ». Ce rapport vient renforcer une autre initiative de la Ministre des solidarités qui présentait, le 21 février 2012, une charte sur l'utilisation de l'image des enfants dans les médias.
Une difficile prise de conscience
Le premier constat est de souligner la pauvreté des recherches et des actions en France pour observer et comprendre ce phénomène. Pour rédiger son rapport, Ch. Jouanno s'est fondée sur des études menées au Canada, aux Etats-Unis, en Belgique et en Grande-Bretagne.
A partir des images et discours véhiculés, l'auteure a étudié la mise en scène sexualisée du corps morcelé (bouche, cheveux, yeux, poitrine, fesses) que surexploitent les médias, la publicité, la télévision, le cinéma, la mode, les jouets et internet.
Sont passées en revue toutes les dérives de l'utilisation de l'image de la féminité qui conduisent au concept violent et négatif de l'hypersexualisation, phénomène qui atteint brutalement l'Occident : le vêtement, le maquillage, la survalorisation de l'apparence, les jouets marqués par les stéréotypes sexués, l'hyperféminisation des petites filles par la création de nouvelles activités comme les spas mère/fille...
Conséquences à long terme sur l'évolution des enfants
Psychologues et psychiatres alertent l'opinion et les pouvoirs publics sur les conséquences de ce phénomène. Le Dr Boris Cyrulnik parle de petites filles devenues « friandises sexuelles » des adultes. Le Dr Xavier Pommerau décrit les pathologies graves et destructrices découlant de ce harcèlement par l'image : anorexie de fillettes de onze ans, hypervirilité agressive des garçons, comportements suicidaires de plus en plus précoces des jeunes. Ils notent également le harcèlement à caractère pornographique dont les jeunes sont la cible sur leur téléphone portable ou sur internet, provenant de leurs camarades, d'inconnus ou du hasard de leur navigation.
La sociologue Corinne Destal, connue pour ses travaux sur la sexualité des enfants et des adolescents, indique que ces « nouvelles » valeurs jouent un rôle prépondérant sur l'éveil à la sexualité des adolescent(e)s en quête d'une identité et d'une image de soi, et sur la dynamique relationnelle entre les deux sexes dès le plus jeune âge. Les unes obéissent inconsciemment à ces injonctions de séduction et de disponibilité sexuelle ; les autres à celles d'une hypervirilité dominatrice, qui fait violence aux deux sexes et se traduit souvent par des souffrances et des conduites au moins inappropriées, mimétisme ou rejet.
C'est dans l'enfance que sont intériorisés les messages transmis par les adultes, parents, éducateurs et acteurs de l'économie et de l'image. C'est à l'adolescence, période d'extrême vulnérabilité qu'éclatent les désespoirs et les crises dues aux distorsions et aux dysfonctionnements entre la réalité de l'enfant qui se cherche une personnalité, son besoin de modèles, sa référence à son groupe de pairs et la virtualité de l'image dominée par les pouvoirs de l'argent et du sexe largement véhiculés.
L'analyse que livre Ch. Jouanno s'étend largement à tous les enjeux de cette culture sociétale, de ce culte de l'apparence et de la séduction, de cette starisation féminine.
Douze recommandations pour agir en amont
« Le principe de la démocratie, écrit Ch. Jouanno, est de préserver l'espace de la liberté individuelle tant qu'elle ne nuit pas à la société. Or, nous disposons des outils juridiques afin d'éviter que l'hypersexualisation ne nuise à la société dans son ensemble ».
Pour elle, la France doit se saisir du problème, au moins à titre préventif.
Même si la sexualisation des enfants est un marché puissant, « nos enfants résistent globalement à la vague... » grâce, notamment, « au contrôle parental de l'apparence qui demeure fort en France (...) et à un consensus social hostile à l'hypersexualisation... ».
Le rapport propose de rédiger « une charte de l'enfant » pour encadrer et protéger « au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant exigeant de le préserver des influences néfastes et le respect de la dignité humaine impliquant de ne pas le représenter comme un objet sexuel ».
Ch. Jouanno souhaite également interdire l'utilisation des enfants de moins de 16 ans par les marques et réglementer les concours de beauté, type mini-Miss, avant 16 ou 18 ans (l'auteure relevant, avec humour, qu'il n'existe aucun concours de mini-Boy).
Elle demande la création d'une mission quinquennale sur l'hypersexualisation et le sexisme, pour observer et comprendre les ressorts et les conséquences sur les enfants et les adolescents, ainsi que des recherches sur les pratiques sexuelles des adolescent(e)s.
Pour informer et éduquer, Ch. Jouanno préconise la mise en place d'un plan d'information et de sensibilisation des parents sur les enjeux et les incidences sur le développement psychologique des enfants, qui légitime leur rôle d'autorité.
Les mères seraient invitées au respect du développement du corps et de l'intimité de leurs filles en évitant, notamment, l'achat de vêtements ou sous-vêtements sexualisés, produits esthétiques ou maquillage, inappropriés à l'âge de leurs enfants. Des sites comme MagicMaman ou AuFeminin.com constituent des relais de diffusion importants et grand public et pourraient participer à cette action d'information.
Les professionnels de l'éducation sont également invités à mettre en place, dès la sixième, des outils pédagogiques s'inscrivant dans un projet d'éducation à l'égalité entre les sexes, à lutter contre les stéréotypes et à développer l'esprit critique des jeunes, des filles en particulier.
Enfin, le rapport recommande de s'engager et de responsabiliser, en s'inspirant d'une charte britannique de respect des enfants signée par les acteurs économiques. Chaque citoyen pourrait également signaler les produits jugés inappropriés sur un site web, la marque concernée par plusieurs signalements serait ensuite « dénoncée » dans les médias.
Le rapport Jouanno parait optimiste dans son « combat pour l'égalité » en imaginant qu'il suffirait à tous les acteurs d'une économie de marché libérale de s'engager auprès des agences de régulation des médias. Annonceurs, publicitaires et autres pourraient-ils se priver des bénéfices liés à l'hypersexualisation comme modalité de présentation et de consommation ? Ce rapport est un excellent outil d'information tout public et professionnel. Il marque une étape importante dans la prise de conscience du phénomène d'hypersexualisation. Mais à terme, pourra-t-il changer dans les faits et surtout dans l'inconscient collectif ?
ApK et SA