Depuis plusieurs mois, les « affaires », mettant en cause des personnalités publiques, se succèdent. Que révèlent ces affaires ? De quoi sont-elles le symptôme ?
Un nouveau scandale de prostitution au sein de l'équipe de France de football est sur le point d'éclater. Franck Ribéry et Karim Benzema comparaîtront bientôt devant une cour correctionnelle pour des faits similaires. Dominique Strauss-Kahn est entendu par la justice pour proxénétisme aggravé en bande organisée dans l'affaire du Carlton de Lille ; et, en Italie, Silvio Berlusconi est actuellement jugé pour, entre autres chefs d'accusation, « relations sexuelles tarifées avec mineure », au cours des désormais légendaires soirées « bunga-bunga »... Encore une fois, l'actualité est riche en scandales sexuels impliquant des personnalités publiques. On nous dira : « Cela a toujours existé ! ». Peut-être, mais ces grandes affaires médiatiques qui mettent en scène des people semblent aujourd'hui dissimuler des comportements largement partagés dans les milieux du pouvoir et de l'argent.
Dans les cercles du sport et de la politique, la discrétion est de rigueur. Ces comportements ne sont pourtant pas inédits. Voici quelques années, Bernard Tapie racontait déjà avec force détails les parties fines organisées pour les joueurs de l'OM les veilles de match, comme s'il s'agissait d'un volet de leur entrainement. Et en 2008, plusieurs députées européennes avaient créé la polémique en dénonçant les agissements de leurs homologues masculins, les accusant de profiter de l'incognito pour passer leur temps à faire la fête ou à fréquenter les personnes prostituées des rues qui avoisinent le Parlement à Strasbourg.
Dorénavant, ces comportements dépassent le cercle des people. Ainsi, derrière la personnalité de DSK, le dossier du Carlton de Lille révèle les liens entre la prostitution et le monde des affaires. L'enquête est encore en cours. Mais les premiers échos mettent en cause certaines pratiques d'une célèbre entreprise de bâtiments publics : voyages et parties fines offerts aux bons clients pour un montant de près de 50 000 euros.... Acte commercial, échange de « bons procédés », cadeaux, corruption....
Exceptions scandaleuses ou pratiques généralisées ? On peut à juste titre se poser la question. La prostitution et le sexe tendent à devenir de véritables outils de « management » des équipes et le mode de défoulement des puissants sur-stressés. Là encore, les « affaires » se succèdent en France comme ailleurs. En Allemagne, un scandale sexuel a récemment ébranlé le monde des assurances : une très célèbre compagnie récompensait en effet ses meilleurs employés en leur offrant des orgies sexuelles à l'étranger. Aux USA, suite au démantèlement d'un réseau de prostitution de luxe, on a appris que les traders de Wall Street se délassaient de leurs difficiles journées de travail auprès d'une agence de haut vol qui les fournissait en prostituées de luxe et en cocaïne...
La demande de ces riches clients est suffisamment importante pour qu'un véritable système pourvoyeur se mette en place. Grands hôtels de luxe, maisons de maître ou hôtels particuliers, prestigieux châteaux dans des environnements non moins somptueux, véhicules de classe, yachts, mannequins, escort girls, soirées jet set... Et l'argent coule à flots : à Nice, Cannes ou Monaco, une escorte peut « gagner » jusqu'à 12 000 euros en une semaine ; à New York, une heure d'escorting peut coûter de 400 à 3 600 $, une nuit 10 000 $...
Pour le sociologue Sudhir Venkatesh, de l'Université de Columbia, cette évolution s'inscrit dans la logique des récents développements urbains : « Les économies des grandes villes ont été remodelées par une demande de divertissement haut de gamme ». De ce fait, la proportion entre prostitution de rue et prostitution de luxe s'est inversée et l'escorting aux tarifs vertigineux a explosé. Une autre conséquence de cette évolution est la banalisation du phénomène.
Dans ces milieux, qui parle de « prostitution » ou de « proxénétisme » ? Les responsables d'agences de mannequinat ou d'escorting proposent « une compagnie de qualité supérieure » pour « des voyages d'affaires, des soirées privées ou mondaines » : ces « compagnes pour une soirée », « belles, raffinées, cultivées, polyglottes », sauront séduire « par leur fraîcheur, leur spontanéité ainsi qu'un physique plaisant accompagné d'un style vestimentaire soigné » et nouer « une vraie complicité ». Pour le reste, « ce qu'elles font ensuite ne relève pas de notre contrat et ne nous intéresse pas ; cela se fait par accord entre le client et elles ». Bref, les escorts sont des « working girls indépendantes » et la prostitution un produit de luxe. !
Aux USA, où plusieurs hommes politiques ont été impliqués dans des scandales sexuels et des affaires de prostitution, des chercheurs ont tenté de comprendre le sens de ces conduites. Pourquoi des hommes parvenus à ce niveau de puissance et de pouvoir prennent-ils le risque de tout perdre pour des affaires sexuelles ? Pour le psychologue Michael Bader, « l'attrait des prostituées s'explique par le soulagement psychologique temporaire qu'offrent (les personnes prostituées) aux hommes en proie à des conflits de culpabilité et de responsabilité ». La relation sexuelle ne serait d'ailleurs pas toujours la finalité du recours à la prostitution. Selon le sociologue Sudhir Venkatesh, 40% des rencontres se limitent à des caresses et des baisers. On veut bien le croire !
Pour autant, le point commun entre toutes ces conduites semble davantage l'arrogance et la nécessité d'affirmer un sentiment de toute-puissance. C'est là le principe même de la prostitution. Pour Michael Bader, d'un point de vue psychologique, peu importe d'où vient la femme et combien elle coûte ; le processus est le même : l'homme achète une relation sexuelle, libérée de tout affect, de toute culpabilité, de toute responsabilité.... Le pouvoir et l'argent ont pour fonction d'amplifier ce mécanisme et de pousser la chosification de la femme à son stade ultime. DSK l'a écrit dans un texto : la femme devient un « matériel » humain !
CG