Le 4 décembre 2013, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, à 268 voix pour, 138 contre et 79 abstentions. Et maintenant ?
« Le chemin a été long et semé d’embuches à chaque pas. Je vous remercie (d’avoir cru à ce texte,) de n’avoir pas cru à la fatalité. Je vous remercie d’avoir regardé la prostitution telle qu’elle est et non pas telle qu’on la rêve… ». C’est par ces mots que la ministre des droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, a salué l’adoption de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Votée par des femmes et des hommes de toute tendance politique, au-delà des clivages partisans, cette proposition entend répondre de manière globale aux différentes problématiques posées par la prostitution. Quatre axes principaux : l’interdiction de l’achat d’un acte sexuel / l’abrogation du délit de racolage / le renforcement des mesures de protection des victimes / l’intensification de la lutte contre le proxénétisme et la traite.
Aujourd’hui, le texte est entre les mains du Sénat. Une Commission spéciale, chargée de son examen, a été constituée sous la présidence de Jean-Pierre Godefroy, co-rapporteur de la mission de la commission des affaires sociales sur la situation sanitaire et sociale des personnes prostituées. Le groupe a commencé à se réunir et procède de nouveau à des auditions. Le texte devrait être soumis au scrutin en juin.
D’ici là, un âpre débat s’annonce. Le parti Europe Ecologie, longtemps divisé, s’est officiellement prononcé contre la pénalisation du client de la prostitution. Des associations prennent également la parole pour contrer l’élan de décembre dernier : considérant la loi comme un « frein majeur à l’accès aux droits et à la santé pour les personnes en situation de prostitution », ces organisations en appellent à la vigilance du Sénat « pour faire valoir la santé publique et le respect des droits fondamentaux ». Au nom de ces mêmes valeurs, le secrétariat international d’Amnesty international réfléchit purement et simplement à une complète décriminalisation de la prostitution. Il ne s’agit encore que d’une consultation, mais cette prise de position ne risque-t-elle pas de peser sur le vote du Sénat ?
Une vague abolitionniste gagne l’Europe
Pendant ce temps, le débat enfle en Europe. En Allemagne, pays-phare du réglementarisme, un « appel pour l’abolition de la prostitution » a été lancé par le journal féministe Emma (version française). Porté par des personnalités du monde intellectuel et politique, le texte dénonce les effets de la loi de libéralisation de 2001 : « L’Allemagne est devenue la plaque tournante du trafic de femmes en Europe et le paradis des touristes du sexe. Voilà l’exception allemande ». Les signataires réclament en particulier des mesures de prévention en Allemagne et dans les pays d’origine des victimes, des mesures de protection des victimes, et « la proscription et, si nécessaire, la condamnation des clients, c’est-à-dire des personnes qui achètent des femmes sans qui ce trafic humain n’existerait pas ».
Ce texte a eu pour effet d’ouvrir un débat public. Pour la première fois, la prostitution a été au cœur des négociations entre chrétiens (CDU) et sociaux-démocrates (SPD) pour la constitution d’un nouveau gouvernement. L’éventualité d’une évolution de la loi est désormais probable. Des dispositions plus contraignantes pourraient être adoptées comme une lutte contre la prostitution forcée et le commerce humain, des contrôles plus stricts pour l'ouverture et la gestion des bordels ou encore l'octroi de titres de séjours à des femmes étrangères victimes de proxénètes.
Au niveau européen également, la situation pourrait bientôt évoluer. Le 23 janvier dernier, la Commission des droits de la femme et de l’égalité du genre (FEMM) du Parlement européen s’est prononcée en faveur du rapport de Mary Honeyball, intitulé "L'exploitation sexuelle et la prostitution et leurs conséquences sur l'égalité entre les hommes et les femmes" (Pour 14 ; Contre 2; Abst 6). Partant d’un double constat (l’échec des politiques régulationnistes menées en Europe / les résultats positifs du modèle suédois de pénalisation du client), ce rapport appelle les Etats membres à « adopter une position commune pour en finir avec ce fléau » et à réexaminer leur législation à la lumière du succès du modèle suédois. Le vote en session plénière devrait avoir lieu fin février. Mais, qu’il soit adopté ou non, ce rapport aura fait entendre, pour la première fois, la voix abolitionniste à l’échelon de l’Union européenne.
Dans ce contexte, la prochaine décision de la France est très attendue. Gageons que notre pays ne ratera pas ce tournant. La Fondation Scelles y veillera, avec l'ensemble de ses partenaires d'Abolition2012. Avec le vote du 4 décembre, un premier pas a été fait. Mais nous ne devons pas relâcher notre effort. L’abolition de la prostitution est à portée de main. Continuons à nous mobiliser !
CG
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