Des jeunes hommes qui prostituent des adolescentes. Tels seraient les loverboys, une nouvelle « méthode » de proxénétisme qui se diffuse en Europe. Profil, médiatisation, victimes, répression, toutes ces problématiques très diverses et complexes témoignent d'une certaine impuissance des pouvoirs publics à répondre à cette menace amoureuse.
Vous rappelez-vous ce garçon de 17 ans, arrêté à Marseille pour proxénétisme aggravé sur trois filles âgées de 15 à 17 ans début 2011 ? Il avait commencé ses activités sordides à 15 ans. Ses victimes se prostituaient par amour. Cette histoire de mineurs n'a pas de nom particulier en France. Aux Pays-Bas, on aurait parlé d'un « loverboy ».
Vous rappelez-vous ce film, « Loverboy », qui a fait tant de bruit l'année dernière au festival de Cannes ? Il raconte une histoire d'amour, de jeunes, de sexe, de violence, de prostitution, d'exploitation et de déception. Une jeune fille tombe sous le charme d'un garçon séduisant et finit dans les griffes des trafiquants de femmes, alors que le garçon part à la recherche de sa prochaine victime.
Malheureusement, il ne s'agit pas que d'une pure fiction. Le scénario, très réel, fait souvent la une des médias néerlandais ou allemands. « Loverboy » n'est pas qu'un film, mais un phénomène médiatique, un outil de recrutement, une forme de manipulation, d'exploitation sexuelle.
Immigration et jeunesse : les deux classiques des loverboys néerlandais
« Nés » aux Pays-Bas les « loverboys » sont un vrai phénomène de société. Apparus probablement lors d'un procès à Utrecht en 1995, les « premiers » loverboys sont quatre jeunes hommes d'origine marocaine. Ils exploitaient sexuellement leurs petites amies qui les avaient surnommés « loverboys ».
De là est progressivement né le portrait-type du loverboy que diffusent les associations de prévention, en tête « StopLoverboy.Nu », pionnière dans ce combat. Le profil est très précis : un jeune homme entre 18 et 25 ans, souvent issu de la seconde génération d'immigrés ou des anciennes colonies. Bien habillé et aisé, il offre à une collégienne manquant de confiance en elle et influençable l'expérience du premier amour. Ce seraient en général de jeunes Néerlandaises de province de 12-13 ans parfois issues de milieux assez bourgeois. C'est le cas de Maria Mosterd, victime très médiatisée, dont la mère est enseignante. Elles traversent souvent une situation personnelle difficile : changement d'école, de domicile, décès ou maladie d'un proche.
La rencontre est spontanée : devant l'école, dans les gares, les fast-foods ou les boîtes de nuit. Le recours aux réseaux sociaux est aussi fréquent car il permet au loverboy de cerner rapidement les centres d'intérêts et le caractère de sa victime. Dans un premier temps, le jeune homme se montre galant, généreux. Puis très vite, il veut coucher avec la collégienne. A l'occasion, des films ou des photos érotiques peuvent être réalisés en guise de futurs moyens de pression. Ensuite le loverboy avance qu'il a des dettes et que la jeune fille doit l'aider à les rembourser en couchant avec des « amis » qui sont en fait des clients. Elle accepte par peur de le perdre et aussi par culpabilité, le garçon lui ayant auparavant offert de luxueux présents. Le loverboy agit seul mais peut être membre d'un groupe criminel (commerce de drogues, armes). Dans certains cas, si l'adolescente refuse, elle est abusée sexuellement en groupe. Peu à peu, en parallèle des cours, les rencontres avec les clients s'enchaînent. Le loverboy rend aussi sa victime dépendante des drogues au point qu'elle finit par se prostituer pour se payer ses doses. Il aliène la jeune fille, la monte contre ses proches et devient son contact. Il décide comment elle doit s'habiller, se comporter et avec qui coucher. Le loverboy la pousse à faire tatouer son prénom sur son corps pour marquer le lien proxénète-prostituée. Si elle se rebelle, il menace de s'en prendre à sa famille. C'est souvent à ce moment là qu'elle accepte de disparaître avec lui dans les quartiers rouges d'Amsterdam, La Haye ou Rotterdam pour protéger les siens. La victime peut être envoyée à l'étranger (par exemple Anvers, Cologne) ou revendue entre 20 et 30 000 euros.
Les loverboys, une création médiatique ?
Le phénomène des loverboys aux Pays-Bas n'est pas sans susciter des interrogations. D'autant que, même si certaines associations évoquent plus de 3 000 cas, CoMensha, l'organisme de lutte contre le trafic humain, n'a recensé que 210 victimes de loverboys pour l'année 2010.
L'existence d'une dépendance émotionnelle et amoureuse entre la prostituée et le proxénète n'est pas un fait nouveau. Ce qui l'est en revanche, c'est que de jeunes proxénètes viennent chercher des collégiennes pour les formater en vue de devenir prostituées. Et ce sans que les proches puissent s'en rendre compte : le loverboy est poli, ramène toujours sa victime à l'heure chez elle et insiste pour qu'elle reste à l'école. Surtout, n'importe quelle famille peut être touchée. Il en résulte que les loverboys soulèvent à la fois l'intérêt et l'inquiétude du public au point de devenir un phénomène médiatique, particulièrement grâce à l'émission Vermist (Perdu de Vue). La méthode dite « loverboy » appartient désormais à l'imaginaire collectif.
Cette approche stéréotypée suscite la critique. L'arrière-plan raciste de ce concept et son non-questionnement par les associations sont mis en cause. En distribuant des prospectus de prévention dans les quartiers rouges d'Amsterdam, les associations ont contribué à l'émergence du cliché du loverboy. Au point que les personnes prostituées voulant « décrocher » s'abritent derrière ce concept pour mieux se débarrasser de leur proxénète.
Les chercheurs étudient le phénomène. Selon une étude récente du Verwey-Jonker Institute d'Utrecht, le concept du loverboy ne serait pas si clair et recouvrirait des réalités très diverses. D'autres chercheurs, Franz Bovenkerke et Marion Van San en particulier, vont même jusqu'à affirmer que ce phénomène est une pure création médiatique. Pour eux, le loverboy serait juste une « petite frappe » appartenant à des réseaux nationaux, chargé du recrutement des jeunes filles et de leur encadrement sur le terrain.
Le modus operandi version balkanique
Le modèle des loverboys néerlandais traverse les frontières : Autriche, Serbie, Roumanie, Albanie, Kosovo, Bulgarie. L'organisation néerlandaise « StopLoverboysNu » s'est même implantée Outre-Rhin bien que le sujet ne soit pas aussi médiatisé. Au Royaume-Uni, plusieurs affaires de loverboys d'origine pakistanaise prostituant de jeunes adolescentes ont été révélées depuis 2008.
Toutefois le profil du loverboy n'est pas toujours identique à l'Ouest et à l'Est. En Bulgarie, il n'est pas forcément issu de l'immigration ou des minorités. Il s'agit plutôt d'un jeune homme à belle carrure, arborant des signes de richesse tels que la voiture de luxe ou les vêtements à la mode. Il connaît les établissements de divertissement les plus chics. C'est souvent en boite qu'il rencontre ses proies. Il correspond aux différents types de proxénètes. Proxénète « indépendant », il peut verser des « cotisations » aux réseaux pour assurer la tranquillité de ses activités. Il peut également faire partie d'un petit réseau de quelques proxénètes. Au sens de la criminalité organisée, le loverboy jouerait également le rôle de recruteur - il attire la victime, l'exploite et la revend aux réseaux criminels.
Cependant la méthode reste relativement identique, la relation amoureuse n'étant qu'un moyen d'aboutir à l'exploitation sexuelle de sa victime. Le loverboy lui offre du rêve pour l'apprivoiser. Les cadeaux, les restaurants, la promesse d'un futur ensoleillé, mais surtout l'attention, sont les caractéristiques principales de ce modus operandi. Les loverboys apportent à leurs victimes ce à quoi elles aspirent. Les jeunes recruteurs bulgares, albanais ou encore kosovars vont même jusqu'à proposer le mariage. Ainsi la victime se prostitue presque « volontairement ». Elle pense se sacrifier pour un futur commun avec son amant/proxénète.
Les victimes - un élargissement du profil ouest-européen
Des différences sont perceptibles également dans les profils des victimes entre l'Est et l'Ouest du fait des divergences sociétales. En Bulgarie, les victimes peuvent êtres des adolescentes, mais également des jeunes femmes de plus de 18 ans. Souvent elles viennent des régions les plus pauvres (Sliven, Montana, Vratsa, Varna). Certaines sont issues des minorités et surtout de la communauté rom. Elles peuvent déjà avoir eu une expérience prostitutionnelle, c'est pourquoi les proxénètes sont plus directs avec elles. Pour les convaincre que la prostitution à l'étranger (Autriche, Italie, Espagne...) est la meilleure des perspectives, les loverboys utilisent souvent l'aide d'autres prostituées, également sous leur emprise. Celles-ci témoignent de la richesse et de la prospérité que la prostitution leur assure. La stratégie de persuasion des victimes qui ne font pas partie des minorités vulnérables est différente. Plus rusés avec elles, les loverboys version balkanique leur proposent des voyages à l'étranger, leur but principal étant l' « exportation ». La relation amoureuse assure la docilité et même la motivation de la victime. La violence peut être physique, mais surtout psychologique - peur d'une révélation des activités prostitutionnelles auprès de la famille et de la communauté, menaces à l'encontre des proches.
Face à la menace, une impuissance presque effrayante
Les relations amoureuses sont exactement ce qui complique la lutte contre ce proxénétisme presque dissimulé. La fille ne se considère pas comme victime et ne porte pas plainte. Même si les faits sont déjà établis, souvent la victime ne veut pas témoigner pour ne pas trahir son « amoureux ». De plus une réglementation spécifique contre les loverboys n'existe pas. La répression n'est possible que sur la base des lois interdisant la prostitution des mineurs. En 2004 le Parlement néerlandais a débattu de l'introduction d'une clause spéciale sur les loverboys dans le Code pénal. Il a été décidé que la loi sur la traite suffisait. Dans un système réglementariste où le proxénétisme est décriminalisé, les loverboys sont de facto des trafiquants. Pour tenter de lutte contre le phénomène, un centre d'expertise policière en la matière a vu le jour.
La question sur l'âge légal de la prostitution se pose aussi. Les victimes sont recrutées très jeunes. A 18 ans, devenues majeures, elles sont toujours sous l'emprise du loverboy et se prostituent désormais en toute légalité. C'est pourquoi les autorités néerlandaises envisagent de relever l'âge légal d'entrée dans la prostitution de 18 à 21 ans. En Allemagne, il reste méconnu que des mineures allemandes peuvent être victimes de trafic humain et donc peu de moyens y sont consacrés.
La prévention - la seule réponse actuelle
Les relations amoureuses étant la base de la dépendance, la prise en charge nécessite une rupture radicale. Les jeunes mineures néerlandaises, victimes de loverboys sont souvent placées dans des centres spécialisés pour mineur(e)s dans le but d'éviter tout contact avec leur ancien proxénète. Certaines sont envoyées en thérapie en Inde suivre un programme spécialisé pour victimes de loverboys. Néanmoins il arrive qu'elles s'échappent pour le rejoindre ou qu'elles retombent dans la prostitution. La prise en charge des victimes est donc difficile. Une fois séparées de leur bourreau, elles ont des séquelles psychologiques importantes et n'arrivent plus à faire confiance à personne. La prévention semble la seule réponse possible : des séminaires d'information dans les écoles aux Pays-Bas, des cercles de parole en Allemagne, des films... L'information et médiatisation du problème, tout particulièrement auprès des jeunes filles, sont devenues une priorité pour le renforcement de la lutte contre les loverboys.
L'impuissance des autorités publiques face aux loverboys est significative. Cette impuissance est surtout visible dans les pays qui ont légalisé la prostitution pour en faire un métier à part entière. C'est aussi dans ces pays que le phénomène est le plus présent. Le système réglementariste requalifie le proxénétisme en entreprenariat et banalise la prostitution. Le terme « proxénétisme » disparait du système légal et donc ces actes ne sont plus réprimés. Comment alors lutter contre l'incitation à la prostitution ? Contre la prostitution de jeunes filles dans la dépendance des loverboys ? Lorsque ces mineures exploitées sexuellement atteignent l'âge de 18 ans, il devient très difficile de les aider à s'en sortir. Ainsi, la réglementation assure aux proxénètes/loverboys une activité lucrative en toute légalité. Les violences restent impunies, les victimes ne sont plus que des « professionnelles »...
AB / IM