Orit Zuaretz est députée à la Knesset, présidente de la sous-commission sur la traite des femmes et l'auteur d'un projet de loi qui établit la responsabilité du client de la prostitution. Dans une tribune publiée par The Jerusalem Post, le 14 février dernier, elle explique les enjeux de son combat.
Depuis le jour où j'ai pris la présidence de la sous-commission sur la traite des femmes de la Knesset, j'ai été confrontée, ici-même à un aspect menaçant et obscur d'Israël. C'est pourtant le même Israël juif et démocratique qui s'est engagé pour la défense de l'égalité et des droits de l'homme.
Beaucoup d'entre nous ignorent qu'Israël est considéré comme un pays source et une destination pour le trafic des êtres humains en général et des femmes en particulier.
Depuis les années 1990, Israël a réalisé des progrès considérables dans le traitement du trafic des êtres humains et de la traite des femmes. 2006 a vu l'adoption d'une loi interdisant la traite des êtres humains à des fins d'esclavage ou de prostitution et l'interdiction du commerce des organes - un délit passible d'une peine d'emprisonnement de 16 ans.
Depuis près d'une décennie, l'État affronte la question de manière responsable et nous constatons aujourd'hui une diminution du trafic des femmes.
Toutefois, le fléau est toujours présent, touchant des femmes originaires de pays d'Europe de l'Est, des travailleurs migrants et des demandeurs d'asile africains, qui subissent tortures et agressions sexuelles pendant leur traversée du Sinaï vers Israël.
Il existe aussi un autre problème, celui de la traite interne, c'est-à-dire des femmes israéliennes contraintes de se prostituer. En Israël, on a généralement une attitude compréhensive et permissive à l'égard de la prostitution, fondée sur de vieux clichés comme « la prostitution est plus vieux métier du monde » ou « si on ne donne pas aux hommes une soupape de sécurité pour se défouler légalement avec une prostituée, le nombre de cas de viol augmentera. » Ce sont des arguments boiteux, éculés, complètement coupés de la réalité.
Un autre mythe s'articule autour de la question du choix - c'est un thème que j'ai fréquemment entendu ces derniers temps - « elles ont choisi ce mode de vie », « elles le veulent bien », « elles gagnent beaucoup d'argent ».
Pour nous forger notre propre opinion, nous nous sommes rendus, avec les membres de la Commission, du sud de Tel Aviv à Eilat et jusqu'à Saharonim (un centre de détention de migrants illégaux) pour recueillir le témoignage de ces femmes.
Ce que nous avons vu est très éloigné des images idylliques de la prostitution « choisie ».
Parmi les femmes que nous avons rencontrées, certaines étaient jeunes et d'autres vieilles ; certaines venaient du centre d'Israël, d'autres de sa périphérie ; chacune avait un parcours de vie douloureux qui l'avait amenée à la prostitution (...). Les défaillances des systèmes d'éducation et de protection sociale, incapables de les protéger des abus sexuels, les avaient conduites à se prostituer. Aucune d'entre elles n'avait jamais rêvé de devenir prostituée ou call girl.
Elles avaient toutes en commun une perte totale de confiance dans le système, un sentiment de frustration et d'impuissance face à l'État et aux autorités censées les protéger.
Un projet de loi que j'ai proposé, dans le but de sanctionner ceux qui utilisent des prostituées et de fournir des recommandations à la société, sera présenté à la Knesset aujourd'hui en séance plénière pour une lecture préliminaire.
Le projet de loi a pour objectif de réduire l'ampleur de la prostitution et de corriger l'injustice morale et humanitaire qui fait de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants des victimes.
Les adversaires du projet de loi mettent en avant différentes raisons pour expliquer leur opposition. Néanmoins, personne ne nie que la prostitution n'est pas un acte volontaire. La plupart des femmes sont happées par le monde de la prostitution alors qu'elles sont mineures (entre 12 et 14 ans en moyenne), et la plupart d'entre elles (plus de 90 %) ont subi des abus sexuels ou autres dans l'enfance. Les études montrent que 90 % des femmes prostituées sont victimes d'agressions physiques, et 55% de ces agressions sont perpétrées par des clients.
La plupart des femmes sont volées et subissent des agressions, sexuelles ou autres.
Les femmes se livrant à la prostitution courent 200 fois plus de risques d'être violées que les autres femmes. La plupart des viols sont perpétrés par des clients.
Les clients constituent le carburant économique qui alimente ce fléau et permet son existence. L'industrie du sexe en Israël rapporte des milliards de shekels par an, qui vont dans les coffres des criminels qui exploitent femmes et hommes, filles et garçons.
Les exemples à travers le monde montrent que la législation proposée permettra de réduire considérablement l'ampleur du problème.
Son application nous mettra au même niveau que d'autres pays occidentaux développés.
Ce type de législation, qui interdit la marchandisation des corps des personnes que la vie a rendues vulnérables, sauvera certainement nombre de filles et de garçons d'un destin brutal fait d'exploitation et de violence.
De nombreux organismes sociaux, des citoyens et des dizaines de milliers de femmes qui ont été ou sont encore quotidiennement soumises à des abus sexuels, physiques et psychologiques ont les yeux tournés vers la Knesset et attendent de ses membres qu'ils adoptent cette position morale fondamentale. C'est une position en accord avec les valeurs de l'Etat d'Israël, ainsi qu'avec les valeurs de toutes les futures victimes - celles qui nous avons le pouvoir de sauver.
Cette loi sera l'élément déclencheur de toute une série d'actions destinées à provoquer des mutations sociales dans tous les domaines en lien avec la prostitution et la traite des femmes en Israël. Le soutien du gouvernement à une telle loi est une affirmation morale de nos valeurs de la plus haute importance.
Tribune publiée par The Jerusalem Post, le 14 février 2012
Traduit par CG