Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, mais aussi vice-président des Equipes d'Action contre le Proxénétisme, parties civiles dans plusieurs affaires médiatiques, répond à nos questions.
On assiste actuellement à une succession d'affaires de prostitution impliquant des people et des hommes de pouvoir. Que révèlent ces affaires ?
J'y vois un effet à la fois encourageant et inquiétant. Le côté plutôt encourageant, c'est qu'à cette occasion, un certain nombre de tabous tombent. L'implication de personnalités connues dans des affaires d'exploitation sexuelle suscite une forte médiatisation. Le fait de parler de ces affaires, de pouvoir enquêter, de terminer souvent par des audiences publiques favorise une prise de conscience plus globale. Parce que le point commun entre la prostitution des people et la prostitution tout court, c'est la prostitution ! L'intérêt des médias pour ces phénomènes est bien plus fort lorsque cela concerne un people plutôt qu'une victime anonyme ou un client ordinaire.
En même temps, et c'est plus inquiétant, ces affaires révèlent une forme de banalisation. Au fond, il s'agit d'une question d'argent : un people jouit d'une notoriété, il est entouré d'une foule qui veut profiter de l'aura de sa célébrité... On s'aperçoit que ces people sont plutôt surpris qu'on vienne les traiter comme les complices d'une exploitation criminelle, alors que, pour eux, cela fait partie des avantages de la notoriété.
Une de ces dossiers a permis de mettre en évidence les liens entre la prostitution et les milieux d'affaires. Que faut-il en penser ?
C'est aussi le côté positif d'une situation inquiétante. Cette fameuse affaire du Nord de la France qui bénéficie de la présomption d'innocence est assez emblématique. L'exploitation sexuelle, avant d'être un débat de société et une question de valeurs, c'est une histoire d'argent. L'exploitation sexuelle est d'ailleurs une branche majeure du crime organisé aujourd'hui. La prostitution peut aussi être un facteur de corruption. Par ce moyen, on peut avoir prise sur un certain nombre de gens, notamment les clients. Ce dossier montre bien que des gens, qui ne sont ni des truands ou des voyous, ont recours à l'exploitation sexuelle pour essayer de fausser le jeu de la concurrence ou pour sécuriser des profits. On fait des cadeaux, on donne de l'argent, mais on peut aussi offrir des prestations sexuelles.
Rappelez-vous, il y a quelques années, les mésaventures d'un grand couturier parisien qui vendait des costumes à des chefs d'Etat africains. Pour mieux s'assurer cette prestigieuse clientèle, il avait eu l'idée d'offrir des prostituées en bonus à ses clients ; il a été condamné par les juridictions françaises pour proxénétisme aggravé. Pour lui, c'était un moyen de marketing efficace.
Comment peut-on agir dans ce contexte ?
Notre rôle est de profiter de la médiatisation de ces dossiers pour dénoncer le danger et le scandale de la banalisation. Il y a des millions d'actes de prostitution dans le monde ; dans une de ces affaires, un people extrêmement connu se voit reprocher une dizaine de prestations de type prostitution dans une année, ce qui représente peu de choses.... Derrière ces affaires, quel que soit le côté glamour, paillettes, montant des sommes, il s'agit de prostitution. On voit bien que la pipolisation est un miroir et un amplificateur du phénomène. Jadis, le pire qui pouvait arriver à une personnalité c'était d'être associé au monde de la prostitution. Aujourd'hui, le recours serein et banalisé à des « escort girls » apparaît comme un phénomène de société ou de mode. En réalité, on est dans le même phénomène. Donc, la pipolisation est une occasion de dire que ce n'est pas une question d'argent, ce n'est pas une question de notoriété, il s'agit toujours de la domination par l'argent d'une personne par une autre.
Ce type d'affaires a toujours bénéficié d'une certaine forme d'indulgence ou de complaisance de la part de l'opinion publique. Cela peut-il évoluer ?
Nous devons montrer que ces affaires ne sont pas anodines. Il s'agit d'exploitation quel que soit le montant de la prestation et cette exploitation est contraire aux valeurs de nos pays démocratiques. Aujourd'hui, le premier travail est à mener auprès des services publics pour que les enquêtes et, plus tard, les jugements soient à la hauteur de l'enjeu. Nous devons aussi révéler la réalité et montrer aux autorités que l'opinion publique peut évoluer. Ce qui me donne confiance, c'est qu'un nombre considérable de parlementaires s'engagent dans la voie d'une évolution de la loi française sur ces questions. C'est courageux, car la majorité de la population, parce qu'elle est mal informée, trouve que tout cela n'est pas bien grave.
Un exemple pour vous montrer que l'on a raison d'être optimiste. Lorsque la Suède a adopté une loi interdisant l'achat de services sexuels, l'opinion publique n'était pas favorable à cette mesure. Après dix années de pédagogie, les Suédois soutiennent cette loi.
Pour convaincre l'opinion publique, il faut montrer que ces affaires ne sont pas seulement graveleuses, elles sont criminelles. Quand on aura expliqué qu'il y a chaque année plus de 400 procès en exploitation sexuelle en France, quand les gens se rendront compte que derrière le mot prostitution, il n'y a pas des paillettes mais une exploitation scandaleuse d'une personne pour de l'argent, l'opinion publique évoluera.
Propos recueillis par CG