Trois supporters de football discutent de l'Euro à venir et de ses troisièmes mi-temps « prometteuses ». Sur le ton animé d'une conversation entre copains, Bernard Rouverand confronte les points de vue, démonte les arguments et ouvre le débat : Faut-il pénaliser le client de la prostitution ?
Bernard Rouverand est depuis plusieurs années impliqué dans la lutte contre l'exploitation sexuelle. Actuellement bénévole à l'Association contre la prostitution des Enfants (ACPE), il milite activement pour la pénalisation du client de la prostitution. Il a accepté de répondre à quelques questions.
Comment avez-vous été sensibilisé à la lutte contre l'exploitation sexuelle ?
Je suis arrivé à la Fondation Scelles par hasard, sans idée préconçue. J'ai alors découvert toutes les problématiques liées à la traite et à l'exploitation sexuelle. C'est un sujet d'une complexité inouïe, qui recouvre l'ensemble des problèmes posés à nos sociétés : la mondialisation, les rapports Nord/Sud, l'immigration, les différences culturelles et religieuses, les rapports de domination, la marchandisation généralisée, les conceptions diverses de la sexualité et le rapport de chacun à sa propre sexualité, la violence...
Comment est né le projet du livre?
C'est le rapport de l'Assemblée nationale des députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, publié en mars 2011, qui m'a déterminé. Visiblement, le terrain est en train de mûrir, et je me suis dit que chacun devait apporter sa petite pierre.
Pourquoi avoir choisi d'analyser le problème de la prostitution à travers le prisme du sport ?
Dans le contexte de l'Euro de football, partir du sport était très "porteur", tant il est connu qu'un grand nombre de supporters sont des consommateurs avertis, comme les joueurs eux-mêmes (voir l'affaire Ribery/Zahia). Le sport est une des sources importantes du tourisme sexuel. En parlant des supporters, on fait mieux voir que la prostitution est à côté de nous ; ce n'est pas quelque chose de théorique et lointain. Nous sommes tous un peu responsables de la cautionner ou pas.
A qui s'adresse ce livre et quels messages voulez-vous faire passer ?
Ce livre s'adresse en premier lieu aux supporters-consommateurs. Je veux leur faire prendre conscience que, s'ils se laissent aller lors des compétitions, à la faveur de l'éloignement et de l'ambiance excitante, ils vont utiliser les services de personnes victimes de trafics, et seront les auteurs d'une violence inacceptable, et les complices de réseaux criminels.
Au-delà des supporters, je m'adresse à l'ensemble des clients potentiels, pour les convaincre qu'il n'y a pas de prostitution innocente, pas de prostitution glamour, pas de prostitution réellement libre.
Je plaide pour l'idée de la pénalisation du client, complément absolument nécessaire des actions actuelles de lutte contre les réseaux et le proxénétisme. La pénalisation n'est pas seulement une action de court terme pour dissuader les clients, c'est aussi (et surtout) une mesure de long terme. En effet, la pénalisation affiche la valeur de l'égalité de respect qu'on doit à tous les êtres. La lutte contre la prostitution est un acte profondément politique, qui réaffirme la volonté d'aller vers une société de moins en moins violente, de plus en plus respectueuse. La lutte contre la prostitution, par la responsabilisation du client, est emblématique de la société que nous voulons.
Comment en êtes-vous venu à défendre ce projet ?
J'ai été étonné dès mon arrivée dans le milieu associatif du fait qu'on ne parlait que de deux acteurs sur trois: les réseaux et les personnes prostituées, en faisant comme si le troisième acteur, le client, n'existait pas. Or à l'évidence, il est au cœur du système. Si l'on ne s'intéresse pas à lui, tout n'est que discours.
Lorsque l'on a commencé à évoquer le client, notamment suite à la pénalisation en Suède, tout le monde se réfugiait derrière la "sensibilisation". Sensibiliser, c'est trop facile, c'est une dérobade pour se donner bonne conscience et ne rien faire de décisif. Il faut un signal fort pour rendre sa logique au système abolitionniste. La pénalisation indique clairement que le client a une responsabilité réelle et première dans le système prostitutionnel.
Les clients sont mis en cause dans votre livre, mais les milieux abolitionnistes aussi, en particulier le milieu associatif. Qu'est-ce qui motive une telle critique ?
Je trouve que le milieu associatif utilise trop souvent un vocabulaire qui ne parle pas aux éventuels clients. On emploie trop de termes moralisateurs ou juridiques. La tonalité générale est féministe, ce qui n'est pas un défaut en soi, mais peut le devenir lorsqu'il s'agit de convaincre des gens qui, par définition, ne sont pas fondamentalement féministes !
C'est précisément cet angle de vue un peu différent, que j'ai essayé d'apporter, en argumentant comme un homme qui s'adresse à d'autres hommes, avec un vocabulaire et des réactions de tous les jours.
Propos recueillis par CG
Bernard Rouverand, De la prostitution comme sport collectif, éd. Max Milo, 2012, 12 €