Indrani Sinha a fondé en 1987 à Calcutta l'ONG Sanlaap, qui signifie "dialogue". Sanlaap lutte contre le trafic de femmes et pour la réhabilitation des femmes secourues dans les maisons closes. Son combat l'amène souvent à s'attaquer à la pauvreté dans les foyers, principal facteur de trafic et de migration.
Comment attire-t-on les jeunes filles ? Quelles promesses leur fait-on ?
Les jeunes filles enlevées sont celles qui sont préparées à quitter le village ou à partir à la recherche d'un travail. Elles ont généralement l'accord de leur famille. Certaines fuient pour vivre une histoire d'amour. C'est lorsque la famille n'a plus d'appels ou de nouvelles qu'elle réagit.
Offrir et assurer une scolarité aux fillettes serait-il un moyen d'améliorer leur situation ?
Le problème est que les enfants aident à gagner de l'argent. L'école peut être une solution mais tout dépend de l'échelle du projet. Une aide gouvernementale est possible. Il faut travailler avec les familles et gérer après l'école.
L'autre problème est que certaines filles prostituées envoient de l'argent à leurs parents (jusqu'à 10 000 roupies) ce qui permet aux proches de survivre. Parfois elles refusent de rentrer et leurs parents souhaitent le maintien de cette situation pour assurer à tous des revenus.
Qui sont les gens qui recrutent les filles ou les enlèvent ? Sont-ils connus de la famille ?
Les filles atterrissent à Pune ou Mumbai. Les trafiquants sont la plupart du temps des femmes qui vivent près des villages. Elles le font pour l'argent (environ 3 000 roupies) et se taisent. Souvent ces femmes sont domestiques ou travaillent dans une usine en ville. Elles reviennent tous les soirs au village et paraissent donc de confiance pour emmener une fille. Elles savent qu'il y a un travail mais n'en connaissent pas la nature et ne cherchent pas à en savoir plus. Les parents ne veulent pas non plus voir leurs enfants revenir.
Lorsque des filles enlevées reviennent et les dénoncent, elles inventent des histoires : elles avaient réellement trouvé un emploi pour la fille, c'est après que le trafic a eu lieu.
Quels sont les moyens juridiques et policiers à disposition des parents pour porter plainte ou retrouver leur enfant ?
Tout doit partir d'une campagne de sensibilisation : les parents doivent savoir ce qu'est un « General diary », ce qu'est le « First information report ». Ils doivent savoir comment cela fonctionne et où aller. Les Panchayats 1 doivent aider et guider les parents. Mais tout dépend de la motivation des acteurs.
La procédure est simple : les parents vont à la station de police où ils donnent des photos de leur fille qui seront postées sur internet. Après les recherches sont possibles et les photos sont dans toutes les stations. Le problème est que les policiers manquent de motivation, se plaignent de ne pas avoir d'ordinateur ou de connexion.
Quelles sont les raisons qui éventuellement poussent les parents à vendre leurs enfants ?
La pauvreté est la principale raison pour laquelle les parents vendent leurs enfants ou acceptent leur départ. Les parents croient en l'idée d'un mariage ou d'une meilleure rémunération. Le trafic vient après. La discrimination des femmes joue aussi un rôle.
Est-il possible de mettre en place un vocational training dans les Sundarbans ? Quelles seraient les activités qu'il serait possible de développer localement ?
Oui tout à fait mais en concentrant sur des activités qui ont un débouché économique. Exemple : batik, mode, tissage, block printing, formation à créer des saris)
Comment travailler avec les Panchayats ? Comment se déroule votre collaboration avec eux ?
La collaboration avec les Panchayats est indirecte. Elle se fait par le biais de 29 organisations réparties dans 11 districts : rencontres communes, campagne de sensibilisation, etc. Surtout lorsqu'une jeune fille revient, le Panchayat est celui qui l'aide à retrouver un statut social, légal et économique. Il est de sa responsabilité d'aider la famille (assurer un revenu) ou offrir une formation à la fille.
Vous assurez des formations auprès de la police, des juges et des forces de sécurité à la frontière. Quels encadrements peuvent-ils offrir ? Comment les entraînez-vous ?
L'entraînement existe depuis 17 ans. Il consiste à faire en sorte que pour chaque station de police, il y ait au moins 4 ou 6 personnes connaissant les lois (Indian Penal Court et Tribunal pénal international) et quel comportement adopter avec les filles. Lorsqu'il s'agit de faire un raid, Sanlaap les accompagne. L'ONG fournit le matériel, la méthodologie et aujourd'hui cette formation est institutionalisée.
Pensez vous que l'idée d'un registre soit une bonne chose ?
L'idée est bonne mais tout dépend de l'organisation des Panchayats et de leur efficacité.
Une jeune fille dont la sœur a été mariée de force à un vieil homme revient pourtant une fois par an voir sa famille. La famille ne peut rien faire pour dénoncer la situation ? Comme faire appel aux autorités et garder leur fille auprès d'eux ?
Oui si la famille entreprend des démarches auprès de la police.
A quelle fréquence Sanlaap organise-t-il des raids ?
Les raids prennent entre 3 et 15 jours pour l'organisation. Il y'en a entre 30 et 60 par an, soit 1 à 3 par mois.
Propos recueillis par AB en août 2011
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