Le 21 novembre dernier, dans le cadre de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes organisée par le Barreau de Paris, sous le haut patronage de Madame Najat Vallaud-Belkacem, ministre des Droits des femmes, s'est tenu le concours des plaidoiries, premier volet des prix Fondation Scelles.
Dans les affaires d'exploitation sexuelle, explique Yves Charpenel, premier avocat général à la Cour de cassation et président de la Fondation Scelles, le rôle de l'avocat est primordial : il est là pour « faire entendre la voix des victimes qui ne sont pratiquement jamais présentes et qui, parfois, ne se considèrent même pas comme des victimes tant elles ont été violentées par la situation d'exploitation sexuelle qu'elles ont vécue (...) Plaider, c'est agir ! »
Faire entendre la voix des victimes, faire comprendre leur vulnérabilité, et, au-delà, briser le cynisme d'une société indifférente, peut-être complaisante, c'est ce que se sont attachés à faire six jeunes avocats (trois hommes et trois femmes), candidats du concours de plaidoiries, un des cinq prix de la Fondation Scelles. Tous sont secrétaires de la Conférence des avocats du Barreau de Paris (promotions 2009....), signe de leurs hautes qualités professionnelles.
Six thèmes avaient été préalablement déterminés à partir d'affaires traitées par les Equipes d'Action contre le Proxénétisme (EACP) :
- Le client d'une personne prostituée est-il complice d'un crime ?
- Peut-on défendre une victime de la traite en son absence ?
- L'exploitation sexuelle est-elle un crime comme un autre ?
- Comment évaluer judiciairement le préjudice subi par une victime de la traite ?
- La dignité d'une victime d'exploitation sexuelle mérite-t-elle protection ?
- La victime de traite qui a aidé le trafiquant est-elle encore une victime ?
Les sujets ont ensuite été tirés au sort par les candidats. Pour reprendre les mots d'introduction d'Yves Charpenel, l'exercice réclamait « une inspiration particulière ». Tous avaient en effet le devoir d'être à la fois percutants et fins dans l'analyse, tout en respectant une stricte contrainte : leur temps de parole était limité à 10 minutes, seulement.
Mais cette difficulté ne les a pas découragés. Avec force et conviction, ils ont montré, l'un après l'autre, une parfaite maîtrise du sujet (la plupart avaient pourtant découvert cette problématique à l'occasion du concours). Toutes les facettes de l'exploitation sexuelle ont été explorées : la violence du proxénète, du réseau, du milieu... / les clients, avec leur « petit plaisir » et leurs « besoins biologiques », « responsables de tout, complices de tout, mais jamais coupables » / le déni et l'indifférence de la société qui s'abrite derrière des clichés faciles : mal nécessaire, moins de viols, consentement.... / et, au cœur de cercle destructeur, la victime : « une femme sans visage », la prostituée « qui n'est rien pour personne , qui n'a que son corps », la prostituée « réifiée »...
Au-delà de l'expertise juridique et de l'éloquence, chacun, en fonction de sa personnalité, a su exprimer une approche différente, allant de l'humour à la gravité, en passant par la colère et l'indignation. Ainsi certains ont choisi de mettre ouvertement en accusation les dysfonctionnements d'un système. « Il n'y a pas de victime sans plainte, a plaidé Guillaume Etrillard. Or (les victimes sont) des personnes sans papiers qui ne peuvent se jeter dans la gueule du loup de la police. En 2010, 83 titres de séjour temporaires ont été délivrés pour zéro titre de séjour permanent. Dans ces conditions, pourquoi les victimes dénonceraient-elles leurs bourreaux ? ». Et Matthieu de Vallois a dénoncé « un système qui ne protège pas ses victimes comme il devrait (...), un système qui se penche sur le cas (de la victime) quand il est déjà trop tard... »
D'autres, par contre, ont privilégié l'émotion. Ainsi Beryl Brown, qui, dans une vibrante incarnation, a prêté sa voix à une victime brisée : « Mon nom ? Je n'en ai pas. (...) Mon corps ? Je suis inhabitée (...). Je ne suis qu'une enveloppe. A l'intérieur, du vide. Absence de lumière, absence de matière (...) Je meurs un peu plus à chaque passe (...) Rendez-moi mon corps, rendez-moi ce qui ne m'appartient plus. Rendez-moi ma bouche et je pourrai parler. Condamnez ceux qui me condamnent. (...) Toi qui achète, sais-tu ce que tu fais de moi ? (...) Si tu renonces à ton petit plaisir, je serai libre, je n'aurai plus rien à vendre, je pourrai m'appartenir, je deviendrai une personne... ».
Ce ne sont là que des citations prises au hasard, car nous n'épuiserons pas en quelques lignes la richesse des plaidoiries entendues au Barreau de Paris. Nous vous proposons par contre de vous faire vous-même votre opinion. L'événement a été filmé et les vidéos sont d'ores et déjà visibles sur Youtube et seront sur le site de la Fondations Scelles en janvier 2013.
Le 4 mars 2013, le nom de l'heureux gagnant sera proclamé. Mais, dès février, vous pourrez vous aussi prendre part à l'opération et voter pour la meilleure plaidoirie....
N'hésitez pas à participer !