En 2010, éclataient les polémiques relatives au débat autour de la réouverture des maisons closes ; aujourd'hui, c'est le projet de pénalisation du client qui met la prostitution en France sous les feux de l'actualité. Après la publication, en avril dernier, du rapport de la mission parlementaire sur la prostitution, l'heure est donc à un état des lieux.
Articles dans la presse écrite, témoignages de personnes prostituées contre la pénalisation du client, reportages sur les femmes importées comme des marchandises des pays en développement et des pays de l'Est, enquêtes sur les dessous du système prostitutionnel se sont succédés. Plus personne ne peut ignorer la réalité quotidienne des personnes qui font commerce de leur corps.
Géolocalisation de la prostitution : un essaimage de plus en plus complet
La prostitution est surtout manifeste dans les plus grandes agglomérations ainsi que sur les axes de déplacements et les zones frontalières. Si la prostitution de rue a diminué dans certaines grandes villes - à Paris notamment, où la décrue semble particulièrement sensible du fait de l'action des services de police déployés pour lutter contre le racolage - , on a pu constater une stagnation dans d'autres villes (Nancy, Nice), et l'apparition d'une prostitution de rue dans des agglomérations de taille moyenne comme à Orléans, Grenoble ou encore à Limoges, qualifiée de « ville malade de la prostitution » dans l'émission « 7 à 8 ». Ainsi, la prostitution n'est plus l'apanage des grandes villes : on estime à environ 850 le nombre de personnes prostituées de rue à Paris, Marseille totaliserait environ 400 personnes prostituées, Lyon 450, Nice 400, Strasbourg en dénombrerait 250 et Montpellier 200. On peut ainsi affirmer qu'il y a un essaimage complet de la prostitution sur l'ensemble du territoire français.
Sophistication de la prostitution : hi-tech et clandestinité
En France, on assiste à une diversification des formes de prostitution. Il y a d'abord la prostitution de rue - la plus connue. Dans la majorité des cas, il s'agit de jeunes femmes d'origine étrangère (Europe de l'Est, Afrique de l'Ouest subsaharienne), qui se retrouvent victimes de réseaux organisés de trafiquants et de proxénètes. Mais il ne faut pas omettre les autres formes de prostitution s'appuyant sur des modes opératoires plus discrets comme des salons de massage ou Internet. Il y aurait d'après le rapport de l'OCRTEH de 2009 611 établissements présentant un risque de prostitution en France. La dernière tendance est aux salons de massage qui servent de façades à des pratiques prostitutionnelles. En témoigne une affaire récente à Poitiers, où le responsable d'un salon de massages naturistes a été condamné à une amende de 2 000 euros. Et, d'après Laurent Mélito, sociologue, il existerait près de 10 000 annonces distinctes sur Internet, à destination de la France. Parmi ces annonces, seules 4 000 seraient le fait de personnes prostituées indépendantes.
Parallèlement à la sophistication des pratiques prostitutionnelles, on assiste également à une banalisation de la prostitution, qui n'épargne aujourd'hui plus aucun milieu. La précarité étudiante débouche parfois sur une forme de prostitution occasionnelle afin de payer les frais de scolarité et le loyer. Par ailleurs, certains mineurs vendraient leur corps dans une logique de troc (« mon corps contre un iphone »).
Prostitution = crainte, marginalisation et violence
Selon la mission parlementaire d'information sur la prostitution, 80% des personnes prostituées en France seraient étrangères. On distingue quatre zones d'origine : les pays d'Europe de l'Est et des Balkans (Pologne, Russie, Lituanie, Estonie, Moldavie, Roumanie, Bulgarie, Albanie), l'Afrique (Maghreb, Nigeria, Sierra Leone, Cameroun, Liberia, Ghana), le continent latino-américain (Brésil, Équateur, Pérou) et le Sud-Est asiatique. Elles sont, d'une part, sous l'emprise de la peur pour leur sécurité physique (peur vis-à-vis du proxénète, des clients et des forces de l'ordre) et pour celle de leurs proches. A cette peur omniprésente, il faut ajouter qu'elles connaissent de grandes difficultés de communication du fait qu'elles ne maîtrisent pas toujours la langue et du fait de la crainte que leur inspirent les institutions et les services de police. Ce qui a pour conséquence une plus grande marginalisation.
Pour la Fondation Scelles, la prostitution reste synonyme de violence. C'est pourquoi nous appelons l'opinion publique à se mobiliser pour que le projet de loi sur la prostitution ne reste pas lettre morte. La pénalisation du client seule ne saurait constituer une fin en soi, néanmoins elle pose un interdit, symbole de la non-marchandisation des corps. Le projet de loi consacre également dix articles à la protection de ces victimes. C'est une avancée cruciale qui ferait enfin sortir les personnes prostituées de leur statut de délinquante, rétablissant ce statut au vrai responsable, celui qui crée la demande : le client.
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