Madame Vera Lesko, fondatrice du centre d'accueil Vatra, raconte son combat contre le trafic des femmes en Albanie.
Vera LESKO est une pionnière dans la lutte contre les trafics humains à des fins de prostitution. En 1999, elle crée le centre psychosocial Vatra qui assure l'accueil et la réinsertion des victimes de traite. Elle en est aujourd'hui la présidente d'honneur. Son combat a été distingué par le Département d'Etat américain : en 2009, elle a été désignée « Trafficking in Persons Hero » par la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton. Madame Lesko a accepté de répondre à nos questions.
Comment avez-vous créé le centre Vatra ?
J'ai créé le centre Vatra à Vlora (au sud de Tirana), un grand centre du trafic des êtres humains, en 1999. Pour y parvenir, nous avons dû faire face aux menaces des trafiquants. Vlora est un port très important, considéré comme la principale voie de trafic des femmes vers les pays européens. Nous avons organisé notre travail avec les gens de la ville qui nous ont fourni des informations. Grâce à eux, nous avons pu découvrir les endroits (hôtels / motels) où sont placées les victimes avant leur départ pour l'Europe. On m'a emmenée voir Karaburuni (une péninsule au sud de l'Albanie) où se trouve un de ces centres de rassemblement des victimes. C'est là que j'ai pris conscience du phénomène de la traite. J'ai alors commencé à travailler à la sensibilisation des populations de Vlora, y compris dans les zones rurales.
Comment s'organise le travail du centre Vatra ?
Notre travail s'organise sur deux axes : l'organisation de campagnes de sensibilisation d'une part, la réinsertion des victimes de la traite d'autre part, car nous avons ouvert un centre d'hébergement pour les victimes, le premier en Albanie, en 2001.
Depuis 2001, nous avons assisté 1377 victimes de trafic d'êtres humains, 428 victimes de violences conjugales, 53 enfants accompagnés par leur mère. 61% des victimes accueillies ont été réinsérées dans la vie sociale.
Le centre Vatra est devenu un des premiers lieux spécialisés sur la traite des êtres humains. Notre action a contribué à la diminution du nombre de victimes et à la réduction de la traite en Albanie. Nos rapports et nos études analytique publiées chaque année sont les seules sources fiables sur le phénomène et son évolution. Nos chiffres sont repris par le gouvernement albanais, par les grands organismes nationaux et internationaux, au niveau des Balkans et européens. Nos données sont également utilisées par les USA.
Comment voyez-vous le phénomène de la traite des êtres humains en Albanie aujourd'hui ?
Après quatorze ans de travail et un combat constant, pas seulement de ma part, mais de la part de toute l'équipe du centre Vatra, on peut dire que le phénomène de la traite des êtres humains à des fins de prostitution en Albanie a été réduit. L'exploitation des filles albanaises à l'étranger a diminué, mais la société albanaise fait aujourd'hui face à une autre forme de traite : le trafic intérieur. C'est une évolution redoutable. L'Albanie risque de devenir non seulement un pays d'origine, mais aussi un pays de destination de la traite.
Quel est le profil des victimes que vous prenez en charge ?
On peut distinguer trois profils :
- Les victimes de trafics de grands réseaux internationaux et mafieux. Il s'agit de filles, de 15 à 30 ans, qui viennent généralement des pays des anciennes républiques soviétiques (en majorité de Moldavie). Elles sont recrutées par des offres d'emploi à l'étranger ou viennent de leur propre volonté. Ce sont pour la plupart des jeunes femmes très belles, issues de familles pauvres, à difficulté. Elles ont des niveaux d'éducation divers, certaines ont été à l'université.
- Les victimes de trafics nationaux albanais. Agées de 15 à 35 ans, ces jeunes femmes viennent de zones rurales ou urbaines de l'Albanie. Elles sont recrutées par la promesse d'un travail, par des « faux mariages », de leur propre volonté, par la violence (enlèvement), ou elles sont vendues par leur propre famille. Elles sont issues de familles nombreuses, pauvres, avec des problèmes sociaux ; elles ont parfois subi des violences sexuelles pendant leur jeunesse. Leur niveau scolaire est assez faible (niveau collège ou moins). Elles sont choisies pour leur physique ; elles sont vendues plusieurs fois par différents trafiquants.
- Les victimes de trafics individuels (petits trafiquants) : elles viennent de zones rurales ; elles ont subi des violences sexuelles répétées ; elles ont de 15 à 30 ans, ont un très faible niveau de scolarité ; elles sont issues de familles très pauvres et sont peu scolarisées ; elles sont vendues par leur époux, sont recrutées par le faux mariage, elles sont séduites... ; elles vivent avec les trafiquants, ne sont jamais libres de circuler seules sont tenues prisonnières.
Comment s'effectue la réinsertion des victimes de trafic ?
Vous avez dit avoir été menacée. Pouvez-vous nous en parler ?
Comment voyez-vous l'avenir du centre ?
Notre problème aujourd'hui, c'est le manque de fonds, surtout pour maintenir les services du centre d'hébergement. Vatra est pourtant le centre le plus important de l'Albanie du sud tant par l'étendue de nos services, que par le nombre de places que nous proposons. Et nous avons la meilleure réputation sur le plan national et international. Nos ressources sont assurées jusqu'en juin 2011. Mais, après cette date, nous risquons de devoir fermer le centre.
Propos recueillis et traduits par VT