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L'inégal contrat

 

Dans « Le contrat sexuel », Carole Pateman entreprend de dévoiler la part manquante de l'histoire du contrat social, fondement de nos libertés civiles. Celle qui concerne les femmes et qui institue par contrat leur domination sexuelle par les hommes.


Plus de vingt ans après sa parution en anglais, ce texte classique de la pensée féministe est d'une actualité tout à fait exemplaire et va bien au-delà de la question des droits des femmes. Dans cette étude radicale du contrat de travail, du contrat de mariage et du contrat prostitutionnel - qui échange quoi, pourquoi et avec qui ? - Carole Pateman fonde une pensée très critique sur la société moderne et contractualisante dans laquelle nous vivons.


Ainsi le contrat social garant de nos libertés civiles n'a t-il rendu libres que les hommes, au sein d'une « fraternité » d'individus égaux. Le mariage a beau s'appuyer sur un contrat, et un contrat devoir se conclure entre deux individus libres et égaux, les femmes n'y ont pas trouvé d'autre autonomie que celle d'être la propriété de leurs maris, au même titre que des esclaves. Ce que n'est pas supposé être le travailleur « libre » qui vend à son employeur sa « force de travail », consentant par là à lui céder un peu de sa liberté en échange d'un salaire.


« Il n'a jamais manqué de défenseurs de l'assujettissement des épouses, mais jusqu'à très récemment on rencontrait rarement de défenses inconditionnelles de la prostitution ».


Pour ce qui concerne la prostitution, Carole Pateman déroule une pensée limpide sur ce qui ne peut simplement pas être considéré comme un contrat (pas plus que celui de mère porteuse, autre contrat « nécessitant » un corps de femme), faute pour l'individu de pouvoir céder une partie de soi sans s'aliéner entièrement.


Au moment où les courants féministes s'opposent parfois vivement sur la question de savoir si la prostitution est ou n'est pas une activité comme une autre, un « métier » , et si les personnes prostituées sont ou ne sont pas des victimes, les propos de Carole Pateman sur la liberté de consentement et l'exploitation économique replacent « le problème de la prostitution (...) dans la question de savoir pourquoi les hommes exigent que le corps des femmes soit vendu comme une marchandise sur le marché capitaliste » .


Le fait de considérer les individus comme des propriétaires de leurs corps, libres de céder temporairement à un tiers sa force de travail ou les « services» qu'il peut rendre dans un échange « libre et juste » est une fiction politique qui sert simplement à masquer, dans n'importe quel contrat, la subordination d'un être à un autre. C'est la contradiction inhérente au contrat social : censé garantir la liberté de tous les individus, il a simplement institué la possibilité pour certains (dominés) de s'aliéner « librement » à d'autres (dominants).


Dans cette mise en parallèle du contrat de travail et des contrats impliquant des femmes, Carole Pateman critique un féminisme qui enferme son champ d'action en admettant la pensée contractualisante. Puisqu'il n'y a ni liberté ni égalité dans le contrat sexuel, il doit être dénoncé par les féministes au même titre que les inégalités de pouvoir entre employeurs et salariés par les socialistes.

AC

Le contrat sexuel, de Carole Pateman, préface de Geneviève Fraisse, postface d'Eric Fassin, Editions La Découverte, Paris, 2010

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