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Pour une Europe sans prostitution : l'appel du Lobby européen des Femmes

Le Lobby européen des femmes lance une nouvelle campagne : « Pour une Europe libérée de la prostitution ». Cette campagne est portée, entre autres matériels de communication, par un clip réalisé par Frédérique Pollet Rouyer et Patric Jean, connu notamment pour son documentaire « La Domination masculine ». Pierrette Pape, chargée de politique et coordinatrice de projets au Lobby européen des Femmes, nous en dit plus.
 

 

Quel est le sens de la nouvelle campagne du Lobby européen des Femmes ?

Depuis 1998, le Lobby européen des Femmes a une position abolitionniste forte. Nous considérons la prostitution comme une forme de violence faite aux femmes et un obstacle à l'égalité femmes-hommes. Nous sommes convaincu-e-s que la traite existe parce que la prostitution existe ; c'est le système prostitueur qui nourrit la traite des femmes à des fins d'exploitation sexuelle.

Nos actions de sensibilisation s'orientent donc sur ces sujets-là. En 2006, nous avons développé des outils, dont le film « Not for Sale », qui présente le témoignage de plusieurs survivantes de la prostitution. Ce film devait mettre fin aux clichés et aux mythes de la prostitution : « c'est mon choix », « c'est un métier comme un autre ». Nous voulions mettre l'accent sur la parole des femmes, car, dans la prostitution, on parle beaucoup de la place des femmes mais on les écoute peu.

L'année dernière, nous avons décidé de faire une nouvelle campagne à la fois pour porter nos principes abolitionnistes et pour sensibiliser le public. Les gens ne connaissent pas ce problème, ils restent sur des préjugés ou ne se sentent pas concernés. Nous voulions trouver une manière de les toucher directement, nous voulions leur montrer que la prostitution est un problème sur lequel nous pouvons tous agir.

Nous voulions aussi axer notre campagne sur les hommes, sans être dans la dénonciation et les montrer du doigt. La majorité des hommes ne sont pas clients. Il s'agit plutôt de les impliquer dans notre combat afin qu'ils travaillent avec nous à dénoncer ce système.

 

Pouvez-vous nous parler du clip réalisé par Patric Jean ?

Nous sommes partis de cette idée de toucher les hommes et de leur donner l'occasion de prendre position. Patrick Jean, qui est très engagé sur des débats sur les droits des femmes, nous a expliqué comment lui, en tant qu'homme, réagissait aux interpellations sur la prostitution. Les hommes pensent que les personnes prostituées ont fait ce choix ou rejettent la faute sur les clichés que les médias véhiculent. Alors Patrick Jean nous a raconté que souvent il disait à ces hommes de s'imaginer à la place des femmes prostituées : « Comment réagiriez-vous si vous étiez obligés d'avoir des relations sexuelles avec des femmes que vous ne connaissez pas pour survivre ? Après combien de fois auriez-vous la nausée ? ». C'est comme ça qu'est née l'idée du clip et du renversement des rôles.

 

C'est un film très fort, même choquant. Pourquoi ce choix ?

Nous avons voulu dénoncer la violence inhérente au système prostitueur, à travers la répétition de l'acte sexuel non désiré. Nous voulions jouer la carte « C'est le système qui est une violence en soi », et ne pas mettre en scène de la violence entre les deux personnages, pour ne pas entrer dans le débat sur les conditions de la prostitution. De nombreux clips montrent des femmes violentées en situation où elles sont victimes. Or nous voulions que les gens se questionnent sur le système en tant quel tel et cessent de penser que les personnes prostituées seraient en sécurité dans une maison close. Le but était donc de faire passer un message fort, de marquer les esprits pour provoquer le débat et la réflexion. Et d'être complémentaire avec les outils de sensibilisation déjà existants, qui ont une autre approche mais un même objectif : dénoncer le système prostitueur..

 

Quel public voulez-vous atteindre ?

Le clip est diffusé sur internet et a été vu plus de 60 000 fois en une semaine. C'est énorme ! Pour nous, cela veut dire que le film relance le débat. La prostitution est un thème peu discuté dans les pays réglementaristes, comme aux Pays Bas ou en Allemagne, où il n'y a jamais eu de véritable débat public. Donc le but du clip est aussi de débloquer la parole et de faire en sorte que les gens parlent du problème. Ne pas en parler nourrit les clichés, les gens continuent à croire que ça ne les concerne pas. Nous voulons créer une démarche citoyenne, pour que chacun se sente responsable.

 

Observez-vous une évolution des sensibilités autour du problème de la prostitution ? Ce film aurait-il pu être montré voici deux ans, par exemple ?

C'est l'histoire du combat abolitionniste. Aujourd'hui, les politicien-ne-s commencent à entendre ce message et à comprendre que la prostitution est une violence faite aux femmes. Peut-être que s'il avait été fait plus tôt, ce clip serait tombé « à côte de la plaque », parce que le message de la prostitution comme violence faite aux femmes n'était pas élaboré aussi clairement. En France, le Rapport de la Mission parlementaire démontre bien la violence de ce système. Du coup, le clip peut aider à lancer le débat et à accompagner cette réflexion. De même, en Irlande et en Ecosse, on commence à voir émerger une réflexion à ce sujet. On se rend compte que l'exemple du modèle suédois n'est plus seulement un modèle lointain. Les associations et les politiques se l'approprient comme étant une possibilité concrète qu'ils peuvent mettre en œuvre rapidement.

Par ailleurs, tout le travail qui a été fait pour montrer qu'il ne faut pas concentrer l'action de la prostitution sur les femmes a débouché sur une réflexion sur le client. Depuis quelques années,des campagnes destinées aux hommes se développent dans des pays tels que la Lituanie, le Danemark, la Hongrie : « Si tu paies, tu prostitues », « C'est parce que tu paies que la prostitution existe ». Le combat abolitionniste a permis de mettre l'accent sur un acteur souvent ignoré ou tacitement mis de coté. Ce clip permet de s'adresser aux hommes, autrement que comme client : « Vous pouvez vous joindre au combat ». Il faut dire aux hommes qu'ils peuvent avoir une parole et qu'ils ne doivent pas fermer les yeux.


Propos recueillis par CG

Pour retrouver l'ensemble des informations concernant la campagne du Lobby européen des Femmes : www.womenlobby.org

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