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L'escorting, une évolution marketing de la prostitution

Depuis trois ans, Laurent Mélito, chercheur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) Marseille réalise une thèse sur l'escorting et les pratiques de l'escorting sur internet. Il nous parle de l'avancement de ses travaux.

 

Entre annonces plus ou moins équivoques, sites « officiels » d'escorting, forums de clients, google map avec géolocalisation des lieux et des personnes, la prostitution a pris une place prépondérante sur internet. Précarisation, mondialisation, téléphones portables, web 2.0, LSI, impression d'anonymat, de discrétion et sentiment de sécurité concourent à l'accentuation de ce phénomène. 

Sur les comportements :

« Le support informatique est susceptible de donner le sentiment aux prestataires de services de contrôler leur activité : latitude pour construire son site, sa page personnelle, pour décliner ses limites en termes de pratiques. Le lien avec le client étant médiatisé par l'échange d'email ou téléphonique, le temps de l'accès à l'offre dissocié de celui de la prestation de service, le dispositif confère un plus grand sentiment de sécurité à la plupart des escortes. »

 

Sur l'ampleur du phénomène :

« Il semble aujourd'hui très difficile de connaître l'ampleur du phénomène. Il y a d'abord les sites d'escorting revendiqués comme tels et les sites d'annonces, plutôt généralistes comme Vivastreet ou Missive qui se multiplient. De nombreuses personnes disposent de plusieurs annonces sur des sites différents. Chaque jour des centaines d'annonces sont publiées ou republiées. D'ailleurs, Sur Internet, nous ne dénombrons pas des personnes mais des annonces. »

A titre indicatif, Laurent Mélito, qui a mené une centaine d'entretiens depuis deux ans, a envoyé 11000 demandes d'entretiens (SMS ou E-mail) pour sa recherche. Si la majorité des inscrites sur les sites d'escortes ont entre 18 et 30 ans, la majorité des répondantes à sa demande d'entretien ont entre 30 et 50 ans.

 

Sur le profil des personnes :

« Des personnes témoignent d'un long parcours dans l'escorting (entre 5 et 10 ans). Pour la plupart, leur activité est soutenue par un discours qui professionnalise leur activité tout en souhaitant se distancier de l'image de l'abattage. D'où l'usage récurrent du terme d'occasionnelle, qui souvent un argument de marketing ».

« Des femmes seules avec enfant(s) sont également impliquées dans cette activité. Elles travaillent à temps partiels pour la majorité. L'escorting est plus qu'un complément de salaire. L'activité n'est pas aléatoire mais elle est balisée par des limites en termes de disponibilités du fait de la vie familiale et de l'activité professionnelle officielle notamment. Dans le discours de ces personnes, la précarisation des états de leur vie socioprofessionnelle et/ou affective est à l'origine de leur projection plus ou moins progressive vers cette activité. »

Pour ces deux groupes, on retrouve clairement un fond de culpabilité présent dans le discours. Il remarque également que les personnes font une différence entre leur vie sexuelle privée (fiancé, mari etc...) et leur activité.

« Par ailleurs, j'ai rencontré de très jeunes femmes, qui insistent pour dire que l'escorting fait partie intégrante de leur vie sexuelle. Elles disent ne voir aucun inconvénient à ce que leur vie sexuelle (celle qu'elles désirent et qui les satisfait) soit une source de revenue. Voire la seule. » Certaines revendiquent ce mode vie comme battant en brèche les repères patriarcaux.

 


Des points communs mais pas de systématisation

De nombreux éléments constitutifs se dessinent dans le parcours de ces personnes vers l'escorting : Adolescence ou enfance fracassée, viols, incestes sont courants mais loin d'être systématiques. Toutefois les coïncidences sont nombreuses et troublantes. Laurent Mélito remarque également une circulation des personnes dans des activités voisines (photos de nu, actrices porno, stripteaseuse) avant de passer à l'escorting et qui fonctionnent comme des voies de passage « pouvant » conduire à l'escorting.

D'une manière générale, la pratique de l'escorting ne laisse pas indemne. Il constate une « certaine homogénéité dans les dégâts provoqués : subis mais déniés durant le temps d'activité, notamment sur le versant corporel. »

« Pour la plupart des personnes que j'ai pu rencontrer, il y a eu un acte initiateur à la décision d'accepter la situation d'entretien : le regard de l'autre, un événement qui a fait éclater la souffrance, le besoin de parler, la violence d'un client etc... »

 

Avec ou sans proxénétisme :

La question est difficile car le proxénétisme est méfiant. Si Laurent Mélito a pu rencontrer au cours de ses recherches des personnes qui sont passées du statut d'escort à celui de « manageuse » d'escort, la plupart des personnes ne semblaient pas être contrôlées. « Elles sont soit indépendantes, soit dans une agence mais ont le plus souvent un long parcours, un long vécu dans l'activité prostitutionnelle. »

Pour les étrangères en revanche il concède que le contact est plus méfiant, difficile. Après le premier contact, elles ne reviennent pas. Il est difficile alors de caractériser le proxénétisme. Mais ça ne veut pas dire que celui-ci est absent en l'occurrence.

D'une manière générale, le chercheur précise avoir constaté une certaine continuité entre la souffrance vécue dans la prostitution de rue et celle vécue dans l'escorting : « les répercussions sont du même registre pour une partie significative des personnes rencontrées ».

Gageons que ce phénomène va s'amplifier. Si la prostitution a en partie disparue des trottoirs, les trottoirs du net eux se sont remplis. La souffrance vécue, la violence des clients ont-elles pour autant disparu ? Quelque soit la forme de marchandisation du corps que l'on veut nous faire accepter, nous opposerons le fait que « la prostitution et le mal qui l'accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l'individu ».


FB

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