L'originalité de cette étude réside dans son approche scientifique, qui refuse de tomber dans l'écueil du moralisme. Elle se distingue ainsi de la plupart des ouvrages sur le tourisme sexuel, souvent dirigés par l'indignation. L'objectif de No money, no honey, économies intimes du tourisme sexuel en Thaïlande est de nous éclairer sur les relations entre les touristes étrangers, les farang, et les prostituées thaïlandaises.
L'auteur part du constat que les notions de « tourisme sexuel » et de « prostitution » sont impropres à être importées dans le champ scientifique et ne prennent pas en compte la complexité des relations qui se créent entre clients et prostituées. Il propose la notion d' « économies intimes », afin d'analyser la prostitution touristique comme une activité allant au-delà d'un acte uniquement monétaire. Mettant en lumière les échanges de biens non monétaires et non matériels, Sébastien Roux récuse la représentation du tourisme sexuel comme simple forme d'exploitation et montre que ces relations sont beaucoup plus complexes : de la relation uniquement sexuelle et contractuelle à la liaison impliquant des sentiments et mettant en jeu des affects, il serait donc impossible d'unifier ces relations au sein d'une catégorie.
Cependant, la posture du sociologue rencontre de nombreuses limites. Certes, son statut de farang lui a permis de circuler librement dans les lieux de prostitution dédiée à une clientèle étrangère masculine ; de même, son activité au sein de l'association Empower, venant en aide aux femmes prostituées, a facilité l'approche de nombreux protagonistes de son enquête. Pour autant, on peut mettre en doute la totale sincérité des témoignages des jeunes femmes : la prostitution étant dépendante de sa mise en discours, les personnes prostituées thaïlandaises sont habituées à se mettre en scène et se travestir en fonction des attentes de l'interlocuteur. Par ailleurs, comment un farang peut-il se distinguer complètement de la clientèle occidentale à leurs yeux ?
Souhaitant sortir d'une vision manichéenne du phénomène du tourisme sexuel, le chercheur réfute la thèse selon laquelle le tourisme sexuel se réduirait à une forme d'exploitation économique du Sud par le Nord. Pour Sébastien Roux, les relations entre farang et prostituées thaïlandaises reposeraient sur une réciprocité du désir ; les jeunes femmes ne seraient plus dès lors des victimes, mais des actrices à part entière, participant à la reproduction de ces relations. On peut pourtant se demande si cette projection du touriste occidental comme artisan d'une vie meilleure n'est pas elle-même le fruit d'une inégalité économique...
AP