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Abolition, abolitionnisme... Mode d'emploi !

 

A l'occasion de la convention du 29 novembre, nous avons interrogé les responsables des trois associations organisatrices de l'événement, Geneviève Duché, présidente del'Amicale du Nid, Claire Quidet, porte-parole du Mouvement du Nid et Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, sur leur vision du régime abolitionniste, sur son application en France...

« Qui connaît l'abolitionnisme en France ? Il y a urgence pour l'explication et la sensibilisation », déclare d'emblée Geneviève Duché, présidente de l'Amicale du Nid. L'abolitionnisme, explique Claire Quidet, c'est de dire « que la prostitution ne doit pas être organisée, que le proxénétisme doit être combattu, qu'on ne peut pas tirer profit de la prostitution d'autrui, qu'il faut proposer aux personnes prostituées de vraies alternatives à la prostitution et les accompagner dans leurs démarches pour quitter ce système. »

Pour autant, l'application de ces principes laisse à désirer et certains pays, la France en particulier, n'en font pas toujours une utilisation très stricte.

 

Le régime abolitionniste en France : incohérences et dysfonctionnements

« Le problème de notre régime, en France, c'est qu'il n'est ni cohérent, ni effectif, ni global », explique Yves Charpenel. « Il n'est pas cohérent : on prohibe l'achat d'acte sexuel à des mineurs, mais pas à des majeurs ; on interdit le racolage actif et passif, mais pas la prostitution ; on lutte contre les proxénètes, mais on a du mal à mettre en place des protocoles de coopération avec les pays qui ne connaissent pas le proxénétisme. Et ce système n'est pas global : comment lutter contre un système si vous n'attaquez pas tous ses aspects principaux, c'est-à-dire la lutte contre ceux qui trafiquent, l'aide à ceux qui sont trafiqués, et la dissuasion de ceux qui sont les clients du trafic ? ».
 
Claire Quidet souligne également les incohérences de ce régime tel qu'il est appliqué ou plutôt n'est pas appliqué en France : « La France a signé des traités internationaux concernant la traite des êtres humains. Ces traités définissent un statut de victimes pour les personnes qui sont arrivées à la prostitution par le biais de la traite. Or, en France, ces personnes, si elles sont en situation irrégulière, sont plutôt considérées comme des émigrées clandestines et reconduites à la frontière. Il y a donc un écart entre les politiques annoncées et leur application : d'un côté, les personnes sont considérées comme des délinquantes, de l'autre, il faut les aider... C'est incohérent ».
 
Pour Geneviève Duché, les faiblesses du régime abolitionniste en France sont, à la fois, « dans la pénalisation du racolage, dans l'insuffisante protection des victimes, en particulier des victimes de la traite, dans l'insuffisante lutte contre le proxénétisme, dans le non-dit sur le client de la prostitution, dans la stigmatisation des personnes prostituées et dans l'insuffisance des moyens pour construire des alternatives à la prostitution qui relève de l'action sociale, un domaine qui se délite en France (...) Un abolitionnisme complet réclamerait d'une part la dépénalisation des personnes et d'autre part la pénalisation effective à la fois des proxénètes et des clients ».
 

Les voies d'un nouvel abolitionnisme

Pour les associations, explique Geneviève Duché, « l'objectif est d'obtenir une loi d'abolition du système prostitueur et une politique publique effective sur la prostitution, fondées sur le constat de la violence qu'est la prostitution et la nécessité de reconnaître les personnes prostituées comme des victimes pour lesquelles il faut des moyens d'accompagnement et de protection ».

« Prosti-tueur » parce que la prostitution, c'est la violence.... C'est ce que rappelle la présidente de l'Amicale du Nid, en charge de l'accompagnement des personnes prostituées : « Il faut montrer que si la prostitution rapporte beaucoup aux proxénètes et trafiquants, elle détruit la santé des personnes soumises à cette violence et de nombreuses vies. Les coûts de désaffiliation et d'exclusion sont très élevés pour une société. On a donc intérêt à développer la prévention et l'accompagnement des personnes le plus tôt et le plus vite possible lorsqu'elles subissent violences et difficultés d'insertion sociale »

Le premier élément sur lequel agir, c'est le client de la prostitution. « La question du client est incontournable, affirme Yves Charpenel. Nous devons mettre à profit l'actualité à la fois événementielle, associative et politique pour le dire. C'est un système d'offre et de demande, on ne traitera pas l'offre, si on ne traite pas la demande, et on ne les traitera pas de la même manière ».

« La France doit également se doter d'un dispositif d'aide aux victimes de la traite et de la prostitution, poursuit le président de la Fondation Scelles. Aujourd'hui, cela ne repose que sur la bonne volonté des associations. Il faut donc impérativement que la France soit compatible avec ses engagements internationaux en la matière et mette en place, comme l'exige la Convention de Varsovie, un dispositif effectif et efficace d'organisation de la lutte contre la traite et, notamment, d'aide aux victimes de la traite ».

Pour autant, l'abolition du système prostitueur ne peut passer que par une action globale. C'est ce que rappelle Geneviève Duché : « Avec la prostitution nous sommes dans un système de domination (masculine et par l'argent) et d'exploitation des fragilités de certaines personnes. Il faut donc intervenir sur tous les éléments du système pour en venir à bout (...)  La pénalisation des clients-prostitueurs qui ne peut être décidée sans l'abolition de la pénalisation du racolage sinon nous serions dans un système prohibitionniste (...) Cette pénalisation du client ne peut être envisagée sans renforcer les moyens d'accompagnement des personnes prostituées qui, sinon, pourraient être davantage fragilisées et sans politique de prévention (éducation au respect de l'autre à l'égalité, à une sexualité libre et respectueuse du désir de l'autre etc.) ».

Abolir le système prostitueur, c'est aussi faire un choix de société. « Pour nous, la prostitution n'est pas le problème de quelques personnes à titre individuel, c'est un problème de société, explique Claire Quidet. Nous faisons le choix d'une société où la sexualité est libérée de toute violence, de toute contrainte, de toute forme de domination, y compris par l'argent, une société qui reconnaît une réelle égalité entre les femmes et les hommes et où un homme ne peut pas imposer son désir à autrui, ni par la force, ni par l'échange d'argent, une société qui exclut le corps humain et la sexualité humaine du champ du marché ».

 

Abolir le système prostitueur, une utopie ?

« C'est une ambition, plus qu'une utopie ! répond Yves Charpenel. Il ne s'agit pas de supprimer un système complexe et puissant du jour au lendemain, mais cela doit devenir une exigence élémentaire dans l'Etat de droit où nous voulons vivre. Les grandes organisations abolitionnistes constatent tous les jours que le système prostitueur est mauvais. S'il est mauvais, il faut y mettre fin ! »

Pour Geneviève Duché, « l'engagement et la lutte sont nécessaires pour faire progresser les sociétés. Tout n'est pas acquis d'un coup mais il faut se placer sur le bon chemin et avoir des principes pour fonder la prévention et l'éducation. De plus, ces principes existent : principes républicains d'égalité entre les femmes et les hommes, de non atteinte à la dignité des personnes... »

L'opinion publique est-elle prête à une telle évolution ? Les trois associations sont d'accord sur ce point, il y a encore beaucoup à faire. L'urgence est d'informer, de sensibiliser. C'est ce qui a été fait en Suède : « Lorsque la loi interdisant l'achat d'un acte sexuel a été votée en 1999, rappelle Geneviève Duché, la majorité des Suédois étaient contre ; aujourd'hui, la quasi-totalité de la population et des politiques l'approuve ».

Pour Yves Charpenel, « si on lui expliquait l'avantage d'une telle évolution, l'opinion publique y serait sensible, comme l'ont été les parlementaires de la Mission quand ils ont pris conscience des réalités des différents systèmes, et notamment de la position que certains pays plus avancés ont pris sur le client ». C'est un avis que partage Claire Quidet : « L'opinion publique pèche par ignorance. Il faut surtout un travail pédagogique pour expliquer, poursuit-elle. Quand on a le temps de bien poser les enjeux et de bien expliquer ce qu'est la prostitution, on est écouté et entendu ».


Propos recueillis par CG
Entretiens réalisés les 24 et 28 novembre 2011

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