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La prostitution dans le monde : ce que nous enseigne l'actualité

 

Qu'y a-t-il de commun entre l'escort girl glamour qui fait la une des médias et les prostituées des maisons closes de Bombay ou d'ailleurs ? C'est la question posée par le premier Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle.

Les visages de la prostitution sont multiples : ce sont des victimes d'exploitation et de réseaux, des mères de famille en situation de précarité, des jeunes filles étudiantes, des enfants, des hommes... qui se prostituent dans la rue, sur internet, dans des bars, des saunas ou des salons de massage, sur le bord des routes...

Les situations sont diverses. Pourtant, quels que soient les contextes politiques, économiques ou culturels, elles se rattachent toutes à un seul phénomène : l'exploitation sexuelle. Et de Paris à New York, ou de Calcutta à Bangkok, ce sont les mêmes réalités et les mêmes menaces qui sont en jeu.



Mondialisation...

La prostitution est aujourd'hui un phénomène qui dépasse les frontières. Ce sont des flux d'êtres humains qui vont d'un pays à un autre, d'un continent à un autre pour être prostitués ou pour acheter du sexe.

Des femmes, des enfants, et des hommes aussi, poussés par la détresse et l'espoir d'une vie meilleure, quittent leur pays d'origine et tombent entre les mains de trafiquants qui les prostituent aux quatre coins du monde. Où que l'on se trouve, la prostitution est devenue internationale. Au Cambodge par exemple, les personnes prostituées viennent de Chine, du Vietnam, d'Europe de l'Est, des Balkans. L'Australie est un pays de destination privilégié pour les victimes originaires d'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Malaisie, Corée du Sud, Taïwan, Vietnam, Chine). Des personnes prostituées chinoises ont été repérées dans la plupart des pays européens, en Amérique du Nord, au Moyen Orient, en Océanie (Australie) ou dans les pays d'Asie du Sud-Est (Malaisie, Thaïlande, Vietnam...).

La prostitution aujourd'hui, ce sont aussi des flux de clients, en majorité des d'hommes, qui traversent les frontières à la recherche d'une offre sexuelle attrayante, à l'occasion d'une coupe du monde de football en Afrique du Sud, de l'inauguration du « plus grand bordel d'Europe » en Espagne, ou d'un voyage de tourisme au Cambodge ou en Bulgarie...

Enfin, les mécanismes de la prostitution passent par-dessus les frontières en utilisant les nouvelles technologies. Désormais, les proxénètes gèrent leurs affaires à distance par l'intermédiaire d'internet et des téléphones portables : des sites hébergés dans des cyberparadis proposent des catalogues de jeunes femmes, le contact avec le client se noue sur internet, les sites sont gérés depuis l'étranger, les rendez-vous sont confirmés de l'étranger également par SMS...

 

Marchandisation...

Dès lors, la prostitution apparaît comme un véritable marché économique. Un marché très « porteur » dont les premiers bénéficiaires sont les proxénètes et les trafiquants. Exemples : deux proxénètes bulgares jugés à Lyon en 2010, dont le chiffre d'affaires s'élevait à plus de deux millions d'euros en moins de trois ans ; ce patron d'une agence d'escortes au Canada qui récoltait chaque année 1,2 million de dollars.

Loin d'appartenir à une économie parallèle, les profits de la prostitution rejaillissent sur la société toute entière. Des milieux très divers en tirent bénéfices : agences de voyage, bars et hôtels, taxis, mais aussi publicitaires, producteurs de sites internet, médias divers...Peut-on s'étonner alors que des Etats et des municipalités cherchent à obtenir leur part du « pactole ».... En Allemagne, par exemple, en 2010, plusieurs villes se sont inspirées du modèle de Cologne, pionnière en la matière, pour proposer la taxation de la prostitution : à Cologne, les personnes prostituées s'acquittent d'une « sex tax » mensuelle de 150 euros, ce qui rapporte chaque année à la ville entre 800 000 et 1 million d'euros.

Dans ce contexte, tout devient prétexte pour promouvoir la prostitution : aux Pays-Bas, un magazine offre à ses nouvelles abonnées la possibilité de passer deux heures avec un gigolo ; en Allemagne, les propriétaires d'établissements de prostitution multiplient les opérations de marketing pour relancer les affaires touchées par la crise.

Finalement, la prostitution pourrait presque devenir un marché économique comme un autre... C'est une dangereuse évolution dont plusieurs pays semblent prendre conscience. En Espagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis en particulier, la place prise par les annonces à caractère sexuel sur les sites internet ou dans la presse commence à faire débat. Des propositions de lois sont envisagées. Mais elles se heurtent déjà à de fortes oppositions. Pour comprendre ces oppositions, rappelons que la plateforme d'annonces internet, la Craigslist, qui a défrayé l'actualité américaine pendant plusieurs mois, avait un chiffre d'affaires de 93 millions d'euros, dont 27 provenant uniquement des annonces à caractère sexuel.

 

Banalisation...

L'année 2010 a été marquée par plusieurs affaires médiatiques, mettant en scène de très jeunes escort girls. On n'a pas oublié Zahia et ses aventures avec l'équipe de France de football ou Ruby et ses soirées en compagnie de Silvio Berlusconi ; toutes deux étaientmineures au moment des faits. On retrouve ce même développement d'une prostitution de luxe, impliquant de très jeunes femmes, à travers le monde : en Chine ou en Inde, par exemple.

C'est une des caractéristiques de la prostitution aujourd'hui : un nombre croissant de mineurs ou de très jeunes majeurs sont exploités sexuellement. Désormais, le phénomène frappe autant des pays d'Asie du Sud-Est que d'Amérique du Nord : en 2010, les Etats-Unis ont découvert avec effroi l'importante prostitution enfantine qui sévissait dans plusieurs de ses Etats.

Les contextes sont divers. Ce sont des enfants victimes de trafics et/ou de la misère : vendus par leurs parents qui espèrent ainsi assurer leur avenir, enlevés par des proxénètes, ou contraints de se prostituer pour la survie de leur famille.... Mais ce sont aussi des jeunes, issus de classes sociales plus favorisées, que des difficultés familiales, le besoin d'argent ou l'envie de biens matériels plongent dans la prostitution. Des jeunes filles mettent leur virginité aux enchères sur un site marchand... ; d'autres se prostituent sur internet pour financer leurs études... ; d'autres encore se vendent pour le dernier vêtement à la mode...

Pour les adolescents, le sexe devient un moyen d'échange : ils « troquent » du sexe contre un peu d'argent, un objet de marque, une dose de drogue... Est-ce vraiment surprenant ? Ils ont été nourris de pornographie, évoluent dans des sociétés qui bombardent en permanence des images mettant en scène la femme comme un objet sexuel. Dans ce contexte, le commerce du sexe est banalisé et la prostitution apparaît de plus en plus comme un recours possible, sans conséquences et presque « naturel » pour se procurer un bien ou de l'argent.

 

Conclusion

Face à ce constat global, rien ne permet d'envisager l'avenir avec optimisme. Les effets de la crise économique, la paupérisation croissante des populations, le renforcement des criminalités laissent présager une aggravation de la situation. D'autant que les politiques publiques peinent à contrer ce développement. Certes, on observe une véritable prise de conscience de la part des Etats : en 2010, de nouveaux textes de loi sur cette question ont été adoptés dans plusieurs pays.

Pour autant, les manières d'aborder la question sont différentes selon les pays et la prostitution continue de susciter de profondes divergences auprès des politiques comme des opinions publiques. Par ailleurs, l'entrée en scène de nouveaux enjeux vient progressivement complexifier le débat sur la marchandisation du corps : faut-il pénaliser le client de la prostitution ? Peut-on instituer des aidants sexuels rémunérés pour les personnes handicapées ? Doit-on autoriser la gestation pour autrui et les mères porteuses ? Autant de thèmes qui seront abordés dans la prochaine édition du Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle....


CG

Les exemples et analyses cités dans cet article sont tirés du Rapport mondial sur l'exploitation sexuelle. La prostitution au cœur du crime organisé, Paris, Economica, 2012.

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