Quel est l'objectif de cet ouvrage ?
D'emblée, il a été envisagé de faire un rapport annuel, limité à un cadre chronologique précis, en l'occurrence l'année 2010. Le but n'est pas de dresser un état des lieux dans tel ou tel pays, ou de changer l'opinion des lecteurs. Mais plutôt d'informer d'une situation et de dégager des tendances globales du phénomène à partir du décryptage de faits d'actualité.
Le livre est organisé selon deux axes. D'abord, des présentations par pays. 24 pays ont été retenus. La synthèse des observations faites dans les pays nous a ensuite conduits à retenir quelques thèmes qui ont été au cœur de l'actualité pendant la période envisagée. C'est le premier ouvrage de ce genre en France.
Pourquoi avoir voulu faire un rapport « mondial » ?
On a souvent tendance à ne considérer le problème de la prostitution qu'à travers le prisme de la France. Nous avons donc voulu remettre en avant d'autres pays, comme l'Inde et la Chine, qui représentent près du tiers de la population mondiale. C'est une remise à l'échelle indispensable.
Par ailleurs, il y a une certaine cohérence à vouloir traiter le sujet de manière mondiale : la prostitution est un phénomène mondial avec des ramifications transfrontalières, des réseaux ou des routes de réseaux sur plusieurs pays, voire plusieurs continents. Du coup, traiter le phénomène en balayant un large panel de pays, cela a un sens.
Enfin, la multiplicité des sujets entrevus dans l'ensemble des pays peut en même temps donner matière pour nourrir le débat qui fait aujourd'hui l'actualité en France et dégager des pistes de réflexion.
Comment les pays et les thèmes ont-ils été sélectionnés ?
Le choix a été effectué à partir de l'Actualité internationale de la prostitution pour l'année 2010, c'est-à-dire la revue de presse que fait le CRIDES (Centre de Recherches Internationales et de Documentation sur l'Exploitation Sexuelle) deux à trois fois par semaine. Nous avons dégagé les pays et les thèmes qui revenaient le plus souvent.
Pour cette première édition, nous voulions limiter le nombre des pays traités pour proposer des études pertinentes. Nous avons donc eu le souci d'équilibrer la sélection en fonction de l'aire géographique (Amérique latine, Afrique, Asie...). Le but était de faire un rapport mondial. Il ne fallait pas que l'Europe domine au détriment des autres continents. C'est une première édition. L'année prochaine nous élargirons le nombre des pays traités.
Comment avez-vous travaillé ?
Pour les pays, il s'agissait d'abord d'exploiter l'ensemble des sources documentaires disponibles au CRIDES (Centre de Recherches Internationales et de Documentation sur l'Exploitation Sexuelle). La revue de presse internationale en premier lieu, qui permet de récolter une masse d'informations conséquentes pour l'année et de dégager une vision globale.
Mais la presse n'est pas suffisante. Il est nécessaire d'étayer l'analyse par les études et les rapports publiés pendant l'année envisagée, collectés par le CRIDES. Il faut aussi enrichir l'analyse par la connaissance du pays. La prostitution est un épiphénomène. Il est important de le replacer dans un contexte global, dans des habitudes culturelles qui modifient le tableau.
De même, dans certains pays marqués par la censure, nous avons cherché à diversifier les sources consultées de manière à dégager une vision plus proche de la réalité et plus critique. Pour la Chine par exemple, la tendance de 2010 était aux opérations policières sur les lieux de prostitution, parce qu'il y avait les Jeux olympiques, parce que les pouvoirs publics ont pris conscience des liens de la prostitution avec les réseaux du crime organisée. La presse en a beaucoup parlé et a fourni de nombreux éléments chiffrés. Mais la presse chinoise est très contrôlée, il est donc important de consulter d'autres sources. Le blog d'un étudiant chinois apportera un autre regard sur les mêmes faits. Il faut vraiment fouiller et internet est un outil formidable, même s'il faut faire le tri.
La Fondation Scelles est connue pour ses positions militantes sur ce sujet. Votre analyse peut-elle être objective ?
Nous avons pris soin de choisir des pays dans chaque type de législation. Nous avons également pris soin d'utiliser tous les types de sources, sources réglementaristes ou autres. On doit tenir compte de tous les points de vue. En Australie, par exemple, où il y a débat, nous avons tenu compte des analyses des syndicats de personnes prostituées comme des autres.Notre premier objectif est d'informer d'une situation.
Observe-t-on des faits significatifs sur l'année ?
On manque encore de recul pour le dire. Il y a des tendances, mais rien n'émerge véritablement. On a l'impression de faits récurrents partout, même dans des pays qui ont des situations politiques ou économiques très différentes : la prégnance de la criminalité, le développement de la prostitution de luxe... Partout, on retrouve les mêmes soucis et les mêmes inquiétudes face à la sous-estimation des phénomènes de traite, au développement de la criminalité... Y compris dans les pays réglementaristes. Par exemple, en Australie, le gouvernement ne veut pas renier ses idées sur la réglementation et persiste à dire qu'il faut organiser la prostitution dans la plupart des Etats. Mais, en même temps, il fait le constat d'une explosion de la traite, du développement de filières clandestines, de l'installation de bordels illégaux un peu partout en dépit de la règlementation.
Avez-vous réfléchi à l'édition 2011 ? Envisagez-vous des changements ?
24 pays ont été sélectionnés cette année. C'était un choix volontairement limité, parce que c'est une première expérience, un essai. Notre objectif est de doubler le nombre des pays étudiés. Les pays du Maghreb par exemple, qui ont marqué l'actualité 2011, absents cette année, auront leur place dans la prochaine édition.
Cela ne pourra pas se faire sans difficultés. On ne peut pas être exhaustif pour tous les pays, et on ne peut pas avoir une information équilibrée pour tous les pays. Certains pays sont très documentés, d'autres moins. Il y a aussi l'obstacle de la langue, qui nous impose des limites. Il faut passer par des traductions ou se limiter à des sources anglophones. C'est pourquoi nous essaierons de développer les apports de nos correspondants dans les pays traités (ambassades, universitaires, ONG, journalistes...).
Propos recueillis par CG