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Sortir de la prostitution : deux femmes témoignent

Nicole Castioni a été députée au Parlement de Genève. Yolande Grenson est assistante sociale, et fondatrice de l’association Pandora. En 2000, à l’occasion d’un colloque à l’Unesco, organisé par la Fondation Scelles, « Peuple de l’Abîme. La Prostitution aujourd’hui », ces deux femmes ont raconté leurs parcours dans la prostitution et comment elles sont parvenues à changer de vie.


 

Qu’est-ce qui a fait que vous avez arrêté un jour ? 

 

Nicole Castioni – J’ai arrêté tout. J’ai arrêté parce que j’ai réussi à m’enfuir.(…) J’étais sous la contrainte, donc il fallait quand même que je réussisse à m’évader. M’évader, c’est un mot qui paraît bizarre, mais c’est un peu ça. Je n’étais pas enfermée mais j’avais un enfermement psychique et physique quand même quelque part. Donc, j’ai réussi à m’enfuir. Et quand je me suis enfuie, (…), c’est évident que c’était pour recommencer une autre vie. C’était un instinct de survie, c’était quelque chose qui était très fort, c’était ça ou crever. J’ai voulu me suicider pendant cinq ans. Mais quand vraiment j’étais en train de mourir je me suis enfuie. J’étais malade, j’avais l’hépatite B, donc j’étais contrainte de changer de vie, et forcément, après j’ai changé complètement mon hygiène de vie. J’ai stoppé aussi les produits toxiques parce que je voulais recommencer quelque chose, ne pas continuer dans cette galère.

 

Est-ce que l'on peut sortir de la prostitution sans l'aide de personne ? 

 

Nicole Castioni – (Sortir de la prostitution,) c'est très dur. C'est une réalité. On ne peut pas dire que ce soit quelque chose de simple. On peut s'en sortir. J'en suis la preuve et je ne suis pas la seule dans ce cas. Il faut décider de s'en sortir. (…) 

Je n'ai pas vraiment eu d'aide extérieure. Par contre, j'ai eu de la chance. D'abord au niveau géographique puisque, lorsque je suis partie de la rue Saint Denis, je suis retournée sur Genève. Cela m'a aidé, et il est vrai également que mes parents étaient toujours vivants. Même s'ils ne savaient pas ce qui m'était arrivé et qu'ils ne voulaient surtout pas le savoir – (…) ils m'ont quand même aidée. 

J'avais l'hépatite B, j'étais en train de crever, c'est vraiment le mot. Donc quelque part, j'étais moins intéressante en tant que marchandise puisque j'étais moins rentable. Donc, la maladie, paradoxalement, m'a aidée. Il y a un facteur chance et puis il y a aussi un facteur de détermination et de force. Mais il ne faut pas nier que le facteur chance est très important, chance de retrouver du travail, etc… Je pense aussi que c'est important que les personnes qui sont passées par là s'expriment. Je ne dis pas que je fais quelque chose d'extraordinaire, je n'ai aucune prétention, mais je pense que c'est important de parler pour donner une autre image de ces trajectoires-là. Quand on entend qu'il y a des personnes qui n'osaient même pas aller faire des courses dans leur village de peur qu'on leur lance des pierres parce qu'elles avaient été prostituées, mais où va-t-on ? Ce n'est pas possible.

Il faut se révolter et être fière de sa trajectoire. Ce n'est pas parce qu'on a été prostituée qu'on est des damnées et qu'on ne peut pas être intégrée dans la société. La première chose à faire, c'est déjà de revendiquer son passé.

 

Comment inciter nos instances publiques à prendre des mesures efficaces pour aider nos prostituées à se recycler et d'abord à se libérer ? 

 

Yolande Grenson - Je sais qu'un des moyens les plus efficaces de contacter des prostituées, c'est effectivement d'être soi-même connue comme étant une ex-prostituée. C'est plus facile pour leur dire : "Si tu as vraiment envie de t'en sortir, on peut chercher ce qu'il y a comme école qui peut te donner la voie pour t'en sortir." 

On a eu en 1995, une petite indonésienne qui était maquée par deux Turcs 24 heures sur 24, enfermée dans un bordel. Elle recevait chaque jour son sandwich et son paquet de cigarettes. Elle est arrivée à la police parce qu'un client, qui en avait vraiment pitié, l'a sortie de là et l'a conduite au commissariat qui nous l'a confiée. Cela a duré trois ans pour lui faire avoir de nouveau confiance en elle et lui donner un centre d'intérêt. Elle a fait une formation de tapissier-garnisseur qu'elle a réussie. Elle a eu la chance de rencontrer un veuf avec deux enfants et maintenant elle s'occupe d'eux et elle est bien.

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