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Moi, si j'étais un homme...


Pour certains, c'est de la naïveté : « je suis très gentil et je les aide financièrement... ». Pour d'autres, ce sont des dommages collatéraux : « lorsque j'achète ma viande, je ne me demande pas si la bête a souffert avant d'être dans mon assiette... ». Comment responsabiliser les clients de la prostitution ?

Alors que s'achève 2010, année de grande cause nationale consacrée à la lutte contre les violences faites aux femmes (dont la prostitution fait partie), une nouvelle cause s'annonce pour 2011 : la solitude. Ce sera l'occasion de s'occuper de ces « chers » hommes esseulés, qui, d'après les dires de certaines personnes prostituées, viennent les voir comme à une séance de psychothérapie.

Nous parlons principalement des hommes car, même si le paysage prostitutionnel s'est transformé depuis la première enquête sociologique sur les clients du Suédois Sven-Axel Mansson en 1984, les usages de la prostitution demeurent avant tout masculins.

Le client est un Monsieur-tout-le-monde en mal affectif, cherchant une épaule pour être rassuré et surtout, consommant du sexe comme on achète son pain. Il ne veut pas connaître l'envers du décor et ne se sent aucunement responsable des causes et conséquences de la prostitution comme les violences, les trafics, l'argent sale, la corruption...


Un commerce à banaliser à tout prix

Peu à peu, la sexualité s'est transformée en marchandise : il n'est plus question d'une relation intime mais de la consommation d'un produit. De ce fait, le marché du sexe s'est développé et tout un réseau économique s'est tissé pour attirer, divertir et satisfaire le client de la prostitution. Et les marchands de sexe, en particulier dans les pays où la prostitution est légale et organisée, ne manquent pas d'imagination en ce domaine. On parle de business, de chiffres d'affaires, de rentabilité, de recherche de nouveaux profits...

En Allemagne, on propose des tarifs spéciaux aux retraités et aux chauffeurs de taxi, des forfaits « deux pour le prix d'un » ou encore, crise oblige, des formules discount comprenant sexe, boissons et nourriture à volonté où le client « fait tout ce qu'il veut, autant qu'il le veut, aussi longtemps qu'il le peut »...

En Suisse, suite à des plaintes d'habitants vivant à proximité des quartiers de prostitution, la police zurichoise a proposé en septembre dernier d'installer des sex-boxes, sorte de drive-in du sexe sur le modèle allemand. Grâce à trois panneaux métalliques sommaires, le client peut garer sa voiture dans un espace à l'abri des regards, tandis qu'un couloir passager permet à la personne prostituée de monter et descendre du véhicule. Quel romantisme !

Peut-on aller plus loin dans l'organisation et la banalisation de l'activité prostitutionnelle ? Oui ! Aux Pays-Bas, fer de lance du réglementarisme, une agence de voyage fait visiter le quartier d'Amsterdam avec un guide, comme une véritable attraction touristique, tarif réduit pour les enfants de moins de 12 ans et gratuit pour les moins de 4 ans.

L'achat d'actes sexuels est devenu tellement banal que la plupart des clients l'assument pleinement. Le « consommateur » se croit tout permis, se sent légitime dans sa démarche où rien n'est grave.


Le client sort de l'anonymat

Si l'industrie du sexe se porte bien, c'est grâce aux clients, de plus en plus nombreux. Beaucoup de pays, même ceux qui ont légalisé la prostitution, reconnaissent que c'est la demande qui crée l'offre et que le client est le premier acteur et responsable de ce système. Un pas de plus est bien franchi vers la reconnaissance du rôle premier du client.

Pourtant, face à ce déploiement de moyens pour faire consommer du sexe, comment dire au client que la prostitution est une violence à l'égard de l'être humain ? Comment lui expliquer pourquoi certains pays organisent ce commerce en toute légitimité et impunité, alors que d'autres pays le condamnent et l'interdisent ? Comment lui faire comprendre qu'il est au cœur de l'échange mercantile et que, souvent, il enrichit les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains ?

Pour que le client de la prostitution prenne conscience de son acte, faut-il le sensibiliser ? Le pénaliser ? Pas si simple. Il faut avant tout réfléchir à ce qui pousse des hommes à avoir ou non recours à la prostitution.

Quelles sont les motivations de ces hommes en quête de sexe monnayé ? D'après les nombreuses recherches sur ce sujet, on distingue principalement deux groupes de clients.

Les acheteurs occasionnels : pour la plupart de jeunes hommes dont la sexualité a été façonnée par la pornographie, l'hypersexualisation de l'image de la femme dans la publicité et les médias. Ceux-là sont plus réceptifs aux mesures légales qui peuvent décourager leur comportement.

Les acheteurs habituels : ces hommes, peu nombreux, « consomment » beaucoup de pornographie et de prostitution, ce qui engendre pour eux des difficultés financières, professionnelles, relationnelles et personnelles. Ceux-ci décrivent leur problème comme étant « hors de contrôle », ce qui veut dire que les contraventions ou la prison ne les empêcheront pas de recommencer à acheter du sexe.


Sensibilisation ou pénalisation ?

En 2002, la France a déjà adopté une loi pénalisant l'acheteur de services sexuels de personnes prostituées mineures. Mais qu'est-ce qui distingue une prostituée de 17 ans protégée par la loi d'une autre de 18 ans, surtout aux yeux du client ?

Avant que la société française en vienne à accepter une loi pénalisant l'achat de services sexuels, même auprès de personnes prostituées adultes, il faudra passer par différentes étapes. La Suède, qui poursuit pénalement le client de la prostitution depuis 1999, s'est d'abord donné les moyens de faire comprendre le sens de ce nouveau dispositif à la population : d'importantes sommes ont été allouées dans des programmes d'information destinés à la population, dans l'aide aux personnes prostituées, dans la formation de différents intervenants police-justice.

Nous n'avons plus de temps à perdre. A l'instar de la Suède, il faut repenser fondamentalement la question de la sexualité et des relations de genre en développant des campagnes de sensibilisation destinées aux enfants et aux jeunes en particulier, sur le long terme. Il faut envisager de mettre en place des écoutes psychosociales à destination des clients pour les aider à parler de leur comportement. Comme l'explique S.A. Mansson, ouvrir le dialogue peut « provoquer une prise de conscience masculine sur les conséquences de l'achat dans la prostitution et signifier une libération pour les hommes qui décident de relever le défi d'une relation socialement égalitaire avec leurs partenaires ».

Mais rien n'est gagné..., surtout si l'on se réfère à ces propos d'un client sur Internet : « J'espère qu'elle reviendra, même si c'est très égoïste. Car si pour elle c'est mieux de choisir une autre voie, j'en pleurerais presque... ». Nous aussi, mais pas pour les mêmes raisons...


S.A

 

Pour en savoir plus :

Sven-Axel Mansson, The practices of male clients of prostitution : influences and orientations for social work, Gothenburg University, 2003.
- Martin A. Monto, Joseph N. McRee, "A Comparison of the Male Customers of Female Street Prostitutes with National Samples of Men", International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, t. XX(X), 2005 p. 1-25.
- Saïd Bouamama, Claudine Legardinier, Les clients de la prostitution : l'enquête, Paris, Presses de la Renaissance, 2006.

Des études consacrées au client sur le site du CRIDES (se connecter en "invité")

 

 

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