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L'assistanat sexuel : au prix de qui ?

 

Le Danemark, les Pays Bas et l'Allemagne et, plus récemment, la Suisse ont créé un statut d'assistant sexuel pour personnes handicapées. Aujourd'hui, le débat arrive en France et déclenche les passions. Comment comprendre et que penser ?

 
Incontestablement, le sujet est sensible. Parler de sexe et de handicap, ensemble, provoque souvent des réactions de rejet. Dans l'imaginaire collectif, la personne handicapée reste, bien souvent encore, un être asexué, qui ne peut ressentir de véritable désir.
 

Il est important de mettre fin à ce déni de la sexualité des personnes en situation de handicap. Les personnes en situation de handicap ne sont pas seulement confrontées à la frustration, mais plus encore, au déni et à la privation. Pour certains, la demande est de « faire l'amour au moins une fois avant de mourir ».

 

Dans ce débat, il est nécessaire de ne pas se limiter à la question du sexe, mais de prendre en compte son corollaire : le besoin d'affection, d'intimité, de sensualité vécue par les personnes en situation de handicap. Ces personnes vivent de façon désincarnée le rapport à leur propre corps : un corps qui ne connaît que le toucher médical, un corps exposé impudiquement pour le besoin des soins, un corps réduit à un lieu d'inquiétude. Leur demande d'être (re)connecté à leur corporalité, d'être touché par des mains ou par le regard d'autrui est on ne peut plus légitime.

 

Cependant, si cette demande d'affection et de sensualité doit être entendue, l'assistanat sexuel constitue-t-il une réponse appropriée ? La revendication présentée par les associations porte à la fois sur la reconnaissance, au préalable, d'un droit à la sexualité pour les personnes en situation de handicap et sur la création d'un statut légal d'accompagnant sexuel, qui serait formé et autorisé à fournir des « services sexuels ». Ce qui pose inévitablement la question suivante : l'assistanat sexuel, à quel prix ? Au prix de qui ?

 

 

L'assistanat sexuel : une solution discriminante ?

 

Au préalable, se pose le problème de l'impossibilité d'une réponse collective pour une catégorie de personnes qui présente une véritable diversité (degrés de dépendance, état de la motricité, type de handicap). Cette diversité requiert donc forcément un décodage subtil des besoins de chacun.

 

De plus, l'idée même d'attribuer un statut particulier à la sexualité des personnes handicapées peut faire penser qu'on considère leur besoin comme une maladie et l'assistanat sexuel comme son traitement. En témoigne le futur projet de loi du député Jean-François Chossy, actuellement en préparation. Celui-ci pourrait envisager d'autoriser la création d'un assistanat sexuel en France pour les personnes en situation de handicap, assortie d'une prise en charge éventuelle par la collectivité dans le cadre de la Prestation de Compensation du Handicap. Un tel projet de loi pose donc le prédicat que la sexualité peut être un soin paramédical.

 
En quoi, par ailleurs, l'intervention d'assistants sexuels pourrait-elle participer à une meilleure intégration des personnes handicapées dans la société, puisqu'il s'agirait d'amener la rencontre directement à domicile, sans besoin aucun de sortir vers l'extérieur ? Ainsi, caché sous la bonne volonté de cesser toute discrimination envers les personnes handicapées, l'assistanat sexuel serait en réalité porteur de plus de discrimination encore.

 

 

Assistanat sexuel ou prostitution ?

 

Le principe de l'assistanat sexuel, en tant que service rémunéré, est une idée dérangeante en soi, puisque la seule solution que l'on apporte à une demande de tendresse et de soin (autre que médical) est une solution payante, comme si la personne handicapée n'avait pas d'autre choix que celui d'une affection ponctuelle et rétribuée. Une solution qui laisse aussi très peu de place à la dignité de chacun dans une relation à sens unique et nie, à travers la rétribution, toute réciprocité du désir. Quelle réelle intimité dans une relation minutée et payante ?

 

Les associations promouvant l'assistanat sexuel le défendent de tout rapport à la prostitution : par exemple, pour le SEHP (Sexualité et Handicaps Pluriels), l'acte sexuel serait, en théorie, prohibé, et cette activité ne constituerait pas la source première des revenus. Pour autant, en dépit de ces précautions de principe, la mise en place d'un statut d'assistant sexuel impliquerait nécessairement de revoir les lois sur le proxénétisme pour officialiser des rapports sexuels tarifiés. En outre, le lien entre assistanat sexuel et prostitution apparaît comme évident, quand on considère deux activités dont le but commun est la mise à disposition de son corps pour le plaisir d'autrui et dont la prestation est rétribuée. Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue suisse responsable du SEHP, définit justement les assistants sexuels comme « des hommes et des femmes qui utilisent leur corps pour procurer de la joie et du plaisir à autrui » (dans Accompagnement érotique et handicaps).

 

On peut également s'inquiéter d'un assistanat sexuel qui se nourrirait de la précarisation de la prostitution, puisqu'il proposerait une nouvelle perspective « professionnelle », qualifié de « service à la personne ». Ainsi, on peut supposer que les personnes postulant à la formation d'assistant sexuel seraient surtout des personnes cumulant des difficultés économiques, sociales ou psychologiques.

 
Il semble donc évident que la réponse à la demande de tendresse et de sensualité des personnes en situation de handicap ne peut être trouvée dans le domaine marchand.

 

 

De l'impossibilité de parler d'un droit à la sexualité

 

Les associations défendant l'assistanat sexuel appellent souvent au respect du « droit à la sexualité » des handicapés. Mais peut-on parler d'un droit à la sexualité ? Si on évoque un droit à la sexualité, ce droit devrait nécessairement être universel, et non réservé à une seule catégorie de personnes. Dès lors, qu'en serait-il du droit à la sexualité des personnes âgées, ou encore des prisonniers ? Quelle réponse y apporterait-on ?

 

Il faut garder en tête que si on formalise un droit, on formalise également le devoir de le satisfaire. Parler d'un droit à la sexualité mènera donc inévitablement vers une consécration de la prostitution. « Droit à la sexualité » ne serait-il d'ailleurs pas une appellation doucereusement hypocrite du «  droit à la prostitution » ? Marcel Nuss, figure de proue du débat, fondateur de l'association Coordination Handicap et Autonomie, dit au sujet de l'assistanat sexuel : « Ce que nous proposons amène forcément d'autres questionnements. D'autres revendications. Ce sera aux générations futures d'y répondre ». Mais n'est-ce pas laisser la porte ouverte aux dérives, que de légaliser une pratique dont les déviances nous semblent évidentes ?

AP

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