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La 'solution' de l'aidant sexuel, c'est un moyen de se déculpabiliser

 

Maudy Piot est présidente de Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA), une association de lutte contre les discriminations à l'encontre des femmes handicapées. Elle a accepté de répondre à nos questions.

 

Pourquoi vous opposez-vous à la création d'un assistanat sexuel pour personnes handicapées ?

L'expression « assistanat sexuel » est déjà en soi inadmissible. Nous sommes des citoyens à part entière, nous n'avons pas besoin d'être assistés. Certes, nous avons parfois besoin d'un accompagnement quand nous ne pouvons pas effectuer certains gestes du quotidien. Mais ce dont nous avons réellement besoin, c'est qu'on nous considère comme des citoyens à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que chacun.
 

Que pensez-vous du débat actuel ?

Marcel Nuss a lancé la question de la sexualité des personnes handicapées, une question importante qu'il ne faut surtout pas gommer. Mais je pense qu'on lui donne une mauvaise réponse. Tout d'abord, il me semble impossible d'apporter à cette question une solution globale et collective. Il faut distinguer les personnes qui souffrent d'un handicap physique, ou mental, et les personnes qui ont des difficultés motrices. Il faut des solutions individuelles, essayer d'accompagner chacun pour résoudre cette problématique.
 

L'assistanat sexuel est pourtant présenté comme une solution ?

Tenir ce genre de propos c'est réduire une fois de plus les personnes handicapées à un statut de personnes différentes et exclues. Je préférerais que les personnes handicapées sortent de chez elles et qu'elles aient la possibilité de choisir elles-mêmes la personne avec qui elles souhaitent avoir un rapport sexuel. Il faut que l'intérieur aille vers l'extérieur et non le contraire.

On parle d'assistanat sexuel, comme si nous étions incapables de vivre notre sexualité, comme si une personne handicapée était incapable de choisir elle-même la personne avec qui elle souhaite avoir une relation sexuelle. Il est vrai que certaines personnes ont des difficultés à vivre leur sexualité. Mais, dans le documentaire de Jean-Michel Carré, un couple dit avoir des relations sexuelles tout à fait satisfaisantes ; ils ont réinventé une forme d'érotisme. Qu'on nous laisse inventer, imaginer et créer notre sexualité ! Je préférerais que l'Assurance Maladie paie des personnes formées pour permettre aux personnes handicapées de sortir, plutôt que des aidants sexuels. Écoutons le désir des personnes handicapées : est-ce que leur premier désir c'est d'avoir un aidant sexuel ou de pouvoir aller partout où elles le désirent ?

 

Concrètement, l'assistanat sexuel, s'il est mis en place, passerait par la création d'un droit à la sexualité pour les personnes handicapées. Pourquoi un droit à la sexualité pour les personnes handicapées ?

Cela prouve que nous sommes vus comme des marginaux. Ce qu'il faut mettre en lumière c'est la souffrance du quotidien des personnes en situation de handicap. C'est une histoire d'exclusion ; la société n'est pas prête à nous accueillir pleinement. La solution de l'aidant sexuel, c'est un moyen de se déculpabiliser, en se disant qu'on a tout fait pour les personnes handicapées ! 

La sexualité relève de la vie intime. L'État n'a pas à se mêler de la sexualité des personnes handicapées, pas plus qu'il ne se mêle de la sexualité du commun des mortels. Et puis, il est complexe de parler d'un droit à la sexualité. Cela mène forcément à se poser la question d'un hypothétique droit à la sexualité pour d'autres catégories, les prisonniers par exemple.

 

Il semble également que les institutions médicales s'opposent souvent aux rapprochements amoureux et affectifs.

Les institutions médicales doivent permettre aux personnes qui vivent dans la même structure de pouvoir se rencontrer. Il y a comme un interdit sur ces rencontres. C'est une situation absurde : on interdit les rapprochements entre pensionnaires, mais on va faire venir un aidant sexuel, qu'ils n'ont pas choisi le lundi de 15h à 16h... !

L'assistanat sexuel pose aussi la question de la compensation, donc d'une marchandisation du corps, donc de la prostitution. Ainsi, pour que cette situation se réalise - pour que les assistants sexuels soient autorisés et que leur statut soit légiféré -, il faudrait changer la loi française sur le proxénétisme. Or, une certaine partie des personnes handicapées, les associations féminines et féministes y sont opposées : nous sommes contre la marchandisation du corps de la femme. Car il faut prendre en compte que 90% des demandes d'assistanat sexuel viennent des hommes, ce sont donc encore les femmes qui vont être mises à contribution.

 

Les assistants sexuels parlent de leurs services comme d'un « don de soi », cela semble généreux.

Moi je préférerais qu'ils fassent ce « don de soi » en permettant aux personnes handicapées de sortir dans la rue. Pour moi, la solution ne doit pas être dans l'intimité, mais à l'extérieur, même s'il faut accompagner la personne sur cette question aussi.
 

Sous une forme bénévole, l'assistanat sexuel vous paraîtrait-il acceptable ?

Si des personnes proposent leurs services bénévolement, cela ne me concerne ni ne me regarde, c'est la vie privée et intime des personnes. Mais j'ai peur que cela ne soit la porte ouverte à la perversion et à la violence. Le problème n'est pas seulement la marchandisation des corps. Il y a également la question de la violence par rapport aux personnes handicapées, dans les institutions, dans les familles, ou encore les cas de viols. 

Qu'est-ce qui peut se passer dans la relation entre une personne qui souffre d'un handicap et l'autre pas ? Ne risque-t-il pas d'y avoir, lors de caresses, l'irruption d'un fantasme dans l'esprit de l'un ou de l'autre, que personne ne maîtrisera ? Et considérant l'intimité, on ne le saura pas, encore moins si la personne n'a pas les capacités motrices ou mentales de s'exprimer. Comment protéger les personnes handicapées de la violence de l'autre ? C'est une question importante à prendre en compte.


Propos recueillis par CG et AP

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