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Former pour prévenir et protéger

Devant la prolifération des idées reçues au sujet de la prostitution et le manque d'informations sur son cadre législatif et réglementaire, les secteurs professionnels en contact avec le phénomène prostitutionnel ont un besoin croissant de formations spécifiques. Quelles formations ? Quels enjeux ?
 

Le but premier de la formation est de renforcer les connaissances sur la prostitution et la traite des êtres humains en abordant les angles juridique, social, économique et psychologique pour une meilleure compréhension du phénomène. Il s'agit donc d'offrir aux professionnels en contact quotidien avec des personnes prostituées une approche psychologique plus humaine afin de mieux les accompagner. En effet, un certain savoir est requis pour écouter les personnes prostituées sans les juger, comprendre leur parcours et décoder leurs souffrances. Mais l'objectif de ces formations est-il seulement de transmettre un savoir ?

 

Prévenir le risque prostitutionnel

Ces formations visent un public très hétérogène : des services de police et de gendarmerie aux magistrats en passant par les services sociaux, les services de santé, et les associations d'aide aux victimes. Dès lors, l'enjeu est, d'une part, d'aborder des thèmes tels que les ambiguïtés de la loi française, la psychologie et les différents parcours vécus par les personnes prostituées, et, d'autre part, de sensibiliser sur les risques prostitutionnels et sur les enjeux de réinsertion des personnes prostituées. Ce type de formation a donc pour objectif de donner des repères et des outils, de développer les compétences afin que les travailleurs sociaux se sentent plus à même pour identifier le risque prostitutionnel chez des personnes en situation de crise, de rupture ou en situation précaire.

Dès lors, la formation va au-delà des simples théories sur le phénomène prostitutionnel puisqu'elle vise à apporter aux professionnels les qualités humaines et les capacités de dialogue qui peuvent faire défaut lors du premier entretien avec la victime.

 

Un encadrement plus rassurant, une approche plus humaine

Mais, plus encore, la formation offre l'opportunité de bousculer les représentations sociales de la prostitution et d'aider certaines professions à mieux comprendre la violence psychologique et psychique subie par la personne prostituée. Les fonctionnaires de police ou de gendarmerie et les services de santé pâtissent souvent du statut spécifique de leur profession qui suscite surtout un sentiment de méfiance. Dès lors, c'est en abordant des sujets comme le parcours et le vécu prostitutionnels, qu'ils vont être à même de dialoguer et d'adopter une approche plus humaine à l'encontre des victimes de la traite.

Pour les services de police, il faut rappeler que le travail en commissariat ne se réduit à la répression du racolage et du proxénétisme, mais doit s'étendre à l'écoute et à l'orientation des victimes. La prostitution étant appréhendée comme une suite d'infractions, la prostituée est souvent assimilée à une personne qui dérange l'ordre public. Par ailleurs, du fait du manque de témoignages des victimes, rarement prêtes à coopérer, les enquêtes se révèlent bien souvent délicates. C'est pour cette raison que la formation poussée des agents de police est cruciale : le succès d'enquêtes impliquant des agents de terrain dépend de la collaboration entre les forces de l'ordre et les personnes prostituées.

De même, les services médicaux et sociaux se doivent d'être des lieux d'écoute et d'accueil avec des intervenants formés pour comprendre la parole de ces personnes. Le milieu de la traite étant celui du silence, il est de leur devoir de rendre la parole à la personne prostituée, mais aussi de l'accompagner dans le processus de « dévictimisation », lui permettant ainsi de réintégrer son schéma et son image corporel.

Enfin, dans le domaine juridique, il s'agit d'expliquer aux juges et aux magistrats que la dimension de victime n'est pas immédiatement perceptible et qu'il est donc nécessaire d'accompagner la personne prostituée dans son témoignage. Dès lors, le bien fondé de ce type de formation s'explique par la nécessité, non seulement, d'aborder les personnes prostituées avec respect et professionnalisme, mais aussi de prendre en charge la victime prostitutionnelle aux différentes étapes de sa reconstruction psychologique et physique.

 

Pour une coopération efficace

L'existence de telles formations souligne la nécessité de renforcer la cohérence des politiques publiques face à la prostitution, en mettant l'accent sur la pluridisciplinarité. Une coopération accrue entre les forces de l'ordre et les agences spécialisées permettraient d'instaurer une surveillance multisectorielle qui améliorerait l'identification et l'accueil des victimes ainsi que leur prise en charge. Comme le souligne Yves Charpenel, qui dirige la formation sur la traite des êtres humains à l'École Nationale de la Magistrature, « la traite des êtres humains est un phénomène polymorphe, la lutte contre la traite ne peut donc être que polymorphe ».

En effet, du fait de sa complexité, le phénomène de la traite ne peut être appréhendé que par une approche pluridisciplinaire. Puisque les principaux domaines d'intervention - juridique, social et associatif - ne sauraient se suffire à eux seuls, la formation peut permettre un forum d'échanges, suscitant un partage d'informations, voire la création d'une certaine culture commune autour de ces questions. Ces formations peuvent ainsi contribuer au développement de la coopération multisectorielle et au renforcement de la collaboration.

En outre, il faut rappeler que la France, depuis 1960, date de sa ratification de la Convention de l'ONU de 1949, a doté chaque département d'un service spécialisé chargé d'aller à la rencontre des personnes prostituées, de les accompagner, de les soutenir dans leur réinsertion et de mener des politiques de prévention. Or, la mise en œuvre effective de ce cadre politique ne peut passer que par la formation des acteurs de la lutte contre la traite.

 

Pour une coopération européenne

Au-delà de la dimension multisectorielle, c'est la collaboration entre différents pays qui caractérise la formation sur le phénomène prostitutionnel. Ainsi l'OCRTEH (Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains), qui porte une attention toute particulière aux pays à l'origine de la traite ayant pour cible la France (Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Cameroun notamment), dirige des actions de formation et de sensibilisation auprès des services de police et de justice de ces pays.

Par ailleurs, des accords de coopération renforcée ont été signés avec la Roumanie et la Bulgarie en 2002, pour faciliter les échanges d'information avec les services français. Ces accords ont pour objectif une répression plus efficace des pratiques mafieuses, une meilleure prise en charge des victimes des trafics, ainsi qu'un contrôle accru des frontières dans le but de démanteler les filières criminelles d'immigration clandestine. Il s'agit donc, à travers ces formations, non seulement de professionnaliser et d'humaniser les pratiques, mais également de mettre en place une coordination bien ordonnée.

De plus, a été mise en place en 2001 la DIICOT (Direction d'Investigation des Infractions liées au Crime Organisé et au Terrorisme) qui rassemble des magistrats spécialisés, procureurs et policiers, pour travailler en coopération étroite avec leurs homologues d'autres pays européens, tels que les ambassades ou les consulats. Cette institution offre ainsi la possibilité de faire relais par la suite et de renforcer la politique européenne commune de lutte contre l'exploitation sexuelle.

Certains pays possèdent déjà des mécanismes d'identification et de soutien, et enregistrent de ce fait un nombre croissant de victimes assistées mais aussi de procédures pénales. En Italie, les victimes sont plus enclines à coopérer avec les autorités compétentes du fait d'un accès au permis de séjour sans condition. Ce pays enregistre d'ailleurs plus des deux tiers des victimes assistées en Europe. De même, dans certains pays d'origine, comme la Bulgarie, la formation de la police, des magistrats et la prise de conscience des ONG sont très avancées. Des exemples qui montrent que la coopération européenne peut porter ses fruits...

 

 

AP

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